Le théâtre arabe interroge les sociétés arabes

Les Français ne connaissent pas forcément la richesse de la création dans le monde arabe. Un exemple : la création théâtrale contemporaine que permettent de découvrir sept pièces écrites par sept jeunes dramaturges et publiées par les éditions Elyzad de Tunis. Sept auteurs qui interrogent les sociétés dans lesquelles ils évoluent. 

«Pour bien connaître un homme, il faut d’abord se connaître soi-même», dit William Shakespeare dans Hamlet. Le théâtre, justement, aide les humains à mieux se connaître en allant fouiller dans les recoins et recoins d’eux-mêmes. En les amenant à s’interroger sur le monde qui les entoure.

C’est précisément ce que font sept jeunes créateurs dans les pièces publiées par Elyzad en version bilingue franco-arabe. Des créateurs originaires du Maroc (Taha Adnan), de Syrie (Waël Kaddour), de Tunisie (Nidhal Guiga et Samia Amami), d’Egypte (Hatem Hafez), du Liban (Tarek Bacha et Arzé Khodr). A noter que les textes sont tous traduits de l’arabe, dans certains cas par l’auteur, ou avec sa collaboration.

Ces créateurs écrivent des pièces porteuses de «questionnements neufs sur les sociétés arabes», comme l’explique l’éditeur. Brûlants de modernité, ils interrogent et s’interrogent sur des thèmes aussi divers que la sexualité, la religion, la justice. Mais aussi la guerre, l’émigration, l’expulsion… Sujets qui ont, évidemment, un lien plus que direct avec l’actualité quotidienne de ces pays. Mais aussi celle des pays occidentaux…

Au-delà, les interrogations et interpellations de ces jeunes auteurs touchent à la place de chaque individu dans le monde, confinant ainsi parfois à la métaphysique. Comme le thème de La Peur de Hatem Hafez. L’auteur égyptien se demande ce qui se passe quand il ne reste rien d’autre aux humains que la peur. Celle d’un monde absurde, kafkaïen, qui broie les âmes. Celle d’un monde totalitaire.

Thèmes philosophiques, dans certains cas. Mais personnages humains, très humains toujours. «Je suis une machine à conneries, je l’avoue. Mais je ne suis pas un salaud… Croyez-moi ! Je suis un lâche ! J’ai peur de mourir ! Je suis trop lâche pour embarquer dans un avion. Trop lâche pour affronter la mort», s’écrie Gillo dans Bye Bye Gillo, long et douloureux monologue d’un homme sur le point d’être expulsé de Belgique vers son Maroc natal. De l’art de rappeler les conséquences de mesures administratives, comme celles qui décident des expulsions du nord vers le sud de la planète…

Les dramaturges écrivent sans fioritures dans un langage réaliste et résolument quotidien. «Qu’est-ce qu’il raconte cet enfoiré ? Il déraille ou quoi ?», demande un personnage dans Pronto Gagarine. Bobo, l’un des deux héros de la pièce, veut «sortir et ne voir que le vide devant» lui, «sans aucune barrière… marcher… marcher sans faire attention où je mets les pieds». Et d’ajouter : «C’est là, pour moi, le sens de la liberté. C’est là le sens de la liberté». Voilà qui rappelle furieusement certains slogans de la révolution de 2011 en Tunisie. Avec l’écho de Paul Eluard dans un fameux poème écrit en 1943:

 «Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté».

Bye Bye Gillo, Taha Adnan ; Les petites chambres, Waël Kaddour ; Pronto Gagarine, Nidhal Guiga ; Sous X, Samia Amami ; La peur, Hatem Hafez ; Hello veut dire bonjour, Tarek Bacha ; La Maison, Arzé Khodr.

-Lire aussi dans le blog de Laurent Ribadeau Dumas, Tunisie: la démocratie en marche:
.La Tunisie, ce pays où règne l'incertitude
.Le regard d'une romancière tunisienne sur ses concitoyens
.Après le printemps, l'hiver. A quand un nouveau printemps?
.«Enfances tunisiennes»

-Autre lien utile
Dramaturgie arabe contemporaine : publications

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé