Une nouvelle Constitution adoptée à une majorité écrasante à l’Assemblée nationale, un nouveau gouvernement : la Tunisie est-elle repartie sur de bonnes rails ? Dans les milieux officiels et en Occident, on applaudit. Mais de son côté, l’opinion tunisienne n’a pas manifesté d’enthousiasme particulier.
«C'est un jour exceptionnel (…), au cours duquel nous célébrons la victoire contre la dictature. Le gouvernement et l'opposition ont gagné, la Tunisie a gagné», a déclaré le 27 janvier 2013 le président Moncef Marzouki après avoir signé le texte. «Nous sommes fiers de cette Constitution qui marie un islam modéré et des valeurs universelles», a réagi le président du parti islamiste Ennahda, Rached Ghannouchi.
Ailleurs qu’en Tunisie, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a parlé «d’étape historique». «Historique» est également le mot employé par le Département d’Etat à Washington. Lequel évoque, concernant la ratification de la Constitution, d’«un succès significatif dans la poursuite de la transition politique». Quant au président français François Hollande, il explique que «ce texte pose les bases d’une démocratie respectueuse des droits et des libertés de tous les citoyens».
De son côté, toute la presse étrangère salue d’une même voix «la naissance miracle de la Constitution la plus moderne du monde arabe», écrit dans le journal tunisois La Presse la journaliste Hedia Baraket. Le nouveau texte constitutionnel «marque une grande avancée démocratique», écrit ainsi La Croix. «Réalisation remarquable de la Tunisie», écrit le New York Times.
Pas d’élan populaire
«Les 26, 27 et 28 janvier 2014, la Tunisie du compromis aura gagné, au prix d’un âpre conflit sur la religion et l’identité, de plusieurs vies sacrifiées et de vérités confisquées, de quelques zones d’ombre relatives à la nouvelle Constitution et à la formation du nouveau gouvernement», constate la journaliste de La Presse. Un jugement qui vient tempérer l’enthousiasme manifesté à l’étranger. Car en Tunisie même, on constate «l’absence de l’élan populaire spontané devant accueillir la Constitution tant attendue», poursuit Hedia Baraket dans son article.
«La réaction des médias étrangers nous a beaucoup surpris. Il ne faut pas perdre de vue que toutes les polémiques, notamment celle autour de l’identité, ont suscité ici beaucoup d’amertume», explique un observateur averti à Tunis. «Dans ce contexte, il a fallu beaucoup de compromis pour parvenir à ce texte. Et puis, il y a eu beaucoup de temps perdu, beaucoup d’argent dépensé. Par ailleurs, en Occident, on fait souvent la comparaison entre la situation en Tunisie avec ce qui se passe en Egypte et en Libye. Mais cela n’a rien à voir. Nous n’avons pas la même histoire. Chez nous, par exemple, nous avons un Code du statut personnel, qui n’existe pas dans les deux autres pays», ajoute le même observateur.
Autre argument qui peut modérer l’enthousiasme, poursuit notre interlocuteur : les ambiguïtés qui peuvent venir de l’interprétation du texte lui-même. Notamment quand celui-ci affirme que l’Etat «est le protecteur du sacré». «Sacré» : un terme qui a provoqué d’âpres débats en Tunisie ces dernières années.
«Effectivement, il n’y a pas eu dans l’opinion l’élan qu’espéraient les députés, eux-mêmes très émus quand la Constitution a été signée. Il n’y a pas eu de manifestation de joie dans les rues», précise un autre observateur. Motif : «L’attente a été trop longue. Confrontés aux difficultés du quotidien, les citoyens finissaient par ne plus y croire», ajoute-t-il. Pour lui, l’attitude de l’opinion pourrait changer avec la nomination du gouvernement de Mehdi Jomaâ: «Les gens commencent à sentir du concret», dit-il.
Pour autant, à écouter les uns et les autres, il subsiste des zones d’ombre dans la composition du nouveau cabinet. Notamment avec la reconduction du ministre de l’Intérieur présent, Lotfi Ben Jeddou, le seul de l’équipe précédente à avoir retrouvé son poste. Et qui est soutenu par Ennahda. La gauche a protesté. Elle lui reproche notamment son «inefficacité» dans sa gestion des assassinats politiques et des actes de terrorisme. «Il faut faire avec cette nomination. C’est le prix du consensus», commente l’un de nos interlocuteurs. Pour autant, Lotfi Ben Jeddou est assisté d’un secrétaire d’Etat aux Affaires sécuritaires, Ridha Sfar. «Cette nomination est une solution partielle», a commenté le secrétaire général du Watad (gauche), parti de Chokri Belaïd. Une manière de dire que le secrétaire d’Etat pourra contrôler le ministre…
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