Depuis la France, il n’est pas forcément facile, ces jours-ci, d’accéder à la presse tunisienne en ligne. Mais les rares médias consultables semblent montrer que le troisième anniversaire de la révolution tunisienne, le 14 janvier 2013, est un anniversaire quelque peu désenchanté. Malgré ce que l’on peut dire en Europe sur le (bon) «exemple tunisien».
«La révolution n’est pas terminée», déclarait sur Géopolis, le 9 janvier dernier, Nadia Châabane, députée du parti al-Massar. «Il vous a fallu près d’un siècle pour stabiliser votre régime politique après la révolution de 1789», grâce aux lois constitutionnelles de 1875, disent souvent les Tunisiens à leurs amis français. Quoi qu’il en soit, trois ans après le renversement de la dictature, on sent poindre un certain désenchantement dans les quelques journaux de Tunis accessibles en ligne.
«La révolution tunisienne, qui a été un modèle du genre et qui espérait aussi donner naissance à une constitution modèle, doit déchanter», écrit le site Nawaat. «Elle aura, à n’en pas douter, une nouvelle constitution bien meilleure que l’ancienne, mais pas assez explicite dans ses avancées, pas suffisamment avant-gardiste dans ses principes pour faire référence. Elle est juste originale par rapport aux constitutions des pays arabes et islamiques - qui ne sont pas des démocraties, rappelons-le -, loin de faire modèle parmi les vraies démocraties, pour un pays se voulant fondateur d’une bien nouvelle et pouvant l’être», poursuit le site.
Un désenchantement qu’essaye de ne pas partager le grand journal francophone La Presse. Le 17 décembre 2010, jour du déclenchement du soulèvement qui aboutit à la fuite du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011, «demeurera, à jamais, la date symbolique du déclenchement du processus qui allait balayer 23 ans de pouvoir absolu et faire tomber comme un château de cartes un système de pouvoir qu’on donnait pour l’un des plus forts dans la région maghrébine, avec une teinte de démocratisation bénie - il ne faut jamais l’oublier - par les puissances occidentales, satisfaites de ce que Ben Ali et son régime apportaient en matière de lutte contre le terrorisme», écrit le journal.
Contexte morose
Mais dans l’article qui suit, La Presse publie une «fiction» sur «la révolution dont on a rêvé». «Aujourd’hui, nous fêtons les trois années de la révolution. J’avoue que j’hésite. Quel est le plus grand acquis de ces trois années merveilleuses? La justice? La paix civile? La sécurité? La démocratie? Le décollage économique? Finalement, j’opte pour la Constitution, la plus avancée du monde musulman et l’une des plus avancées au monde. Une Constitution conforme aux objectifs de la liberté et de la dignité», écrit, ironique, l’auteur, Hela Habib.
Cette ironie se retrouve tout au long de l’article, qui fait mine d’offrir un portrait idéal de la Tunisie. «Le pays brille, inspire les autres et fait des jaloux. Prospère, la Tunisie est devenue une terre d’immigration. Les Européens fuyant la crise dans leurs pays font la queue pour obtenir leur carte de séjour. En un mot, les Tunisiens sont fiers et heureux», poursuit Hela Habib. Bref, tout ce que le pays et ses citoyens ne sont pas…
«Contexte morose pour le troisième anniversaire de la révolution de jasmin» (expression, au passage, que n’aiment pas nombre de Tunisiens), confirme la correspondante de RFI à Tunis, Camille Lafrance. Malgré les avancées politiques, comme la nomination d’un nouveau Premier ministre, Mehdi Jomaâ, appelé à diriger un cabinet d’indépendants : «La Tunisie est désormais le seul pays des ‘‘printemps arabes’’ à poursuivre une transition démocratique», constate Le Monde.
Pour RFI, «ces avancées sont loin de passionner les Tunisiens, déçus par une classe politique divisée. Leurs préoccupations sont toutes autres, comme le coût de la vie qui grimpe avec 6% d'inflation, le chômage qui avoisine les 16%, mais aussi la sécurité, après deux assassinats politiques en 2013 et des violences attribuées à des terroristes jihadistes». «La révolution dont on a rêvé» n’est-elle donc qu’un rêve inaccessible ?