Née à Bruxelles en 1952, Cécile Oumhani est, comme elle le dit elle-même, une écrivaine «citoyenne du monde», aux origines française, britannique. Et tunisienne. Ce qui lui permet de porter un regard distancié sur l’évolution en Tunisie. Elle a choisi d’exprimer son inquiétude dans Tunisie, carnets d’incertitude (éditions Elyzad). Un livre écrit sous la forme d’un journal intime qui commence au lendemain de la révolution de janvier 2011.
Dans votre livre, vous décrivez à la fois l’incertitude qui règne en Tunisie et la vôtre. Comment définissez-vous cette «incertitude» ?
Entre le 14 janvier 2011, date du renversement du régime de Ben Ali, et les élections du 23 octobre de la même année, nous avons vécu une période euphorique. Certes, on a vu surgir des femmes en niqab et des salafistes. Il y a eu aussi l’émiettement des partis politiques : plus de 110 ont été déclarés pour le scrutin. Mais on se disait que ces phénomènes nouveaux n’étaient pas appelés à durer, qu’ils allaient se dissiper. Sur le plan personnel, j’avais envie de revenir vivre en Tunisie une partie de l’année.
Mais ces phénomènes ne se sont pas dissipés. D’où cette incertitude. D’un côté, on assiste à des choses extrêmement angoissantes. Ce qui fait que beaucoup de Tunisiens sont suivis par des psychiatres. Mais d’un autre côté, des gens comme moi continuent à espérer dans la mobilisation de la société civile.
Je m’appuie aussi sur l’histoire du pays. En 1857, sous le règne d’Ahmed Bey, a ainsi été promulgué un Pacte fondamental, texte héritage de la Révolution française, qui garantit les libertés des citoyens sous l’angle de la foi et de la raison. La Tunisie a aussi été le premier pays musulman à se pourvoir d’une véritable constitution en 1861. En se plaçant dans une perspective historique, on se dit que la situation actuelle n’est pas désespérée et qu’en France, l’aboutissement des idéaux de 1789 ne s’est pas fait en quelques mois. Cela redonne de l’espoir.
L’incertitude, c’est un peu comme le temps qu’il fait : quand il pleut, on se dit qu’après il fera beau. En Tunisie, il y a à la fois la mobilisation de la société civile et le phénomène salafiste, qui exprime le désespoir de jeunes sans travail.
Pourquoi avoir choisi la forme de carnets pour raconter cette incertitude ? Et les anecdotes que vous racontez sont-elles vraies ? Comme celle de ce salafiste arrogant, qui double tout le monde dans une administration et dont on entend «le chuintement négligent» des mules «qui frottent le sol».
Ces anecdotes sont totalement vraies ! C’est moi qui les ai vécues, ou alors des membres de ma famille ou des amis. J’ai voulu les garder pour ne pas les oublier. Il s’agit pour moi d’illustrer les évènements d’une manière concrète.
Dans cette société qui a volé en éclats, ma manière d’écrire a volé en éclats. Je ne pouvais plus me replier dans un univers de fiction. Il se passait des choses inouïes que je ne pouvais plus écrire sous une forme romanesque.
La situation évolue très vite, ce qui procure des émotions très fortes. Je perçois des choses multiples que j’ai envie de noter. Mais dans le même temps, c’est difficile de porter un regard d’ensemble sur les évènements. Le carnet m’a semblé offrir une forme fragmentaire correspondant bien à cette situation fluctuante.
Aujourd’hui, comment voyez-vous l’avenir de la Tunisie ? A la fin de votre livre, vous évoquez les évènements d’Egypte et de Syrie, qui ne prêtent guère à l’optimisme…
J’ai terminé mon manuscrit au mois d’août, au moment où l’on parlait beaucoup de l’utilisation des armes chimiques syriennes. Pour la Tunisie, je suis un peu plus optimiste. On est vraiment dans l’incertitude. D’un côté, il y a le risque de guerre civile. De l’autre la détermination de la société civile. Récemment, dans une émission de radio, quelqu’un expliquait : ‘‘On ne sait pas ce qui va se passer, mais je n’ai pas peur !’’. Cela me semble bien caractériser cette détermination.
La situation économique est catastrophique. Depuis une quinzaine de jours, les Tunisiens ont du mal à trouver de la farine. Mais ils continuent de réfléchir. Résultat : on continue à voir des choses qu’on ne voyait jamais avant. Tous ces gens qui s’expriment dans les micro-trottoirs à la télévision, les journaux en ligne où ils donnent leurs opinions, tout cela montre une société en ébullition. C’est aussi cela que j’ai voulu exprimer dans mon livre.