Info ou intox ? De nombreuses rumeurs, repris par la presse des deux côtés de la Méditerranée, circulent en Tunisie et ailleurs: des jeunes Tunisiennes seraient enrôlées dans un «djihad du sexe» en Syrie pour assouvir les besoins des combattants islamistes. Pour autant, d’autres sources démentent ou minimisent un tel phénomène.
L’affaire avait pris de l’ampleur avec les propos du ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, devant les députés de l’Assemblée nationale le 19 septembre 2013. Les jeunes femmes «ont des relations sexuelles avec 20, 30, 100» jihadistes, avait-il déclaré. «Après ces rapports sexuels qu'elles ont au nom du jihad al-nikah («la guerre sainte du sexe», NDLR), elles reviennent enceintes», avait-t-il ajouté. Mais sans donner de chiffres.
Ce discours allait dans le sens des rumeurs circulant en Tunisie depuis des mois. Si bien que le ministère de la Femme, sans être capable non plus d'estimer l'ampleur du phénomène, avait annoncé la mise de place d'une cellule de crise et la préparation de campagnes d'informations.
Par ailleurs, les organisations non gouvernementales ont interpellé le gouvernement pour qu'il combatte les réseaux de recrutement de jeunes filles.
Le jihad al-nikah, permettant des rapports sexuels hors mariage avec des partenaires multiples, est considéré par certains dignitaires salafistes comme une forme légitime de guerre sainte. Dans un autre registre, le phénomène rappelle la pratique du mariage coutumier. Il serait effectivement apparu après des propos attribués à un cheikh saoudien ultra-conservateur, Mohammed al-Arifi. Propos que ce dernier aurait démentis par la suite.
Des témoignages en arabe, repris par les réseaux sociaux, circulent sur internet. Mais leur fiabilité n’a pas été prouvée.
Les spécialistes, eux, restent quelque dubitatifs. L’ancien diplomate Ignace Leverrier a ainsi publié sur son blog dans Le Monde un article dans lequel il estime que «Vous allez être déçus : le ‘‘djihad du sexe’’ n’a jamais existé». Et de démonter un phénomène destiné à «heurter et paralyser les opinions publiques occidentales».
S’il n’existe pas, le phénomène est très limité, estime un «haut responsable du ministère de l'Intérieur», cité par l’Agence France Presse.
«Au maximum une quinzaine de Tunisiennes sont allées en Syrie, la majorité dans le but de soigner des combattants ou de mener des actions sociales», explique ce responsable sous couvert de l'anonymat. Mais certaines d'entre elles, une fois sur place, ont été forcées à avoir des relations sexuelles avec les combattants islamistes : «quatre d'entre elles sont revenues de Syrie, et l'une est enceinte», affirme-t-il. «Celle qui est enceinte a dit qu'elle apportait des soins aux combattants et qu'elle a dû avoir des rapports sexuels avec eux», poursuit-il. «Il y a d'autres femmes qui font le jihad du sexe qui viennent de Tchétchénie, d'Egypte, d'Irak, de quelques pays du Maghreb. Il y a aussi des musulmanes venues de France ou d'Allemagne», ajoute-t-il néanmoins.
«Elles ont été la cible d'un endoctrinement sur internet et à travers des cheikhs étrangers», selon ce responsable du ministère qui dit se baser sur les témoignages des Tunisiennes rentrées dans leur pays.
Le ministre de l’Intérieur serait-il allé trop loin, et le gouvernement a-t-il éprouvé le besoin de faire marche arrière ? A voir. Dans le même temps, peut-on avoir totale confiance dans les propos d’un responsable du même ministère ?
Selon l’Association de secours aux Tunisiens de l’étranger, ledit ministère «n’est pas transparent sur cette question». «Des dizaines de Tunisiennes sont revenues» et «des centaines s’y trouvent encore», affirme-t-elle. A l’écouter, ces jeunes femmes ne témoignent pas : leurs familles entendent «éviter le scandale et préserver leur honneur».
Affaire à suivre…
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