Le président tunisien à Paris, entre femens et opposants...

Le président tunisien, Moncef Marzouki, pendant sa conférence à l'Institut du monde arabe (IMA) à Paris, le 12 avril 2013 (AFP - Eric Feferberg)

La démocratie n’est pas un long fleuve tranquille, comme l’a montré la conférence du président tunisien, Moncef Marzouki, intitulée «Quel avenir pour les révolutions arabes ? », le 12 avril 2013 à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris…

18h40 devant l’IMA. Des manifestants de l’opposition tunisienne, tenant des panneaux «Qui a tué Chokri Belaïd ?» ou «Marzouki Robespierre», sont tenus à bonne distance par un important cordon policier.

19h10. Le président de l’IMA, Jack Lang, vient d’introduire la conférence, tenue dans le cadre d’une visite privée à Paris organisée à l’occasion de la sortie du dernier livre du président tunisien, L’invention d’une démocratie (La Découverte). Soudain se dressent deux jeunes femmes à moitié nues, deux femens, qui hurlent : «Where is Amina ?» («Où est Amina»). Amina ? En l’occurrence Amina Tyler qui a disparu pendant un mois et a été apparemment enfermée par sa famille avant de réapparaître à la télévision. Les deux perturbatrices sont évacuées manu militari.


Quand les femens perturbent la visite du président tunisien, afpfr, 12-4-2013

Du consensus avant toute chose
Moncef Marzouki se dit «un peu surpris» par la forme de la protestation. Avant d’analyser pendant une quarantaine de minutes l’évolution de son pays. Et de justifier sa propre action.

«La démocratie est un facteur de paix,  face aux dictatures qui mènent la guerre à leur propre peuple. Mais à certaines conditions: «Elle exige du temps, un consensus dans la société et la justice sociale». Celle-ci, «à laquelle ne comprennent rien les ultra-libéraux, exige un développement des régions de l’intérieur du pays et la lutte contre la corruption».

Le consensus semble être l’obsession du président tunisien. «Notre société est profondément divisée entre riches et pauvres. Entre une partie profondément occidentalisée, très attachée à ses libertés, et une autre très attachée à ses racines arabo-musulmanes. Aucune partie ne peut jeter l’autre à la mer. Si nous n’obtenons pas le consensus, nous risquons un blocage des institutions, une guerre civile larvée. Voire une guerre tout court».

Un consensus qui n’est pas forcément facile à trouver. «Pendant longtemps, les citoyens islamistes ont été considérées comme des citoyens de seconde zone», poursuit-il. En clair, ils veulent toute leur place dans la société. Tandis que de leur côté, «les citoyens laïcs ne veulent pas être rabaissés». «Laïc», un mot qui équivaut à «athée dans l’esprit arabe», rappelle-t-il au passage. D’où les difficultés d’un pays qui se trouve sur «un chemin long, lent et difficile».

Quoi qu’il en soit, le pays est en train, selon lui, de réussir un processus qui repose sur «un socle de valeurs communes à tous les citoyens». «Je crois profondément que nous sommes bien partis. Je comprends les frustrations et les angoisses. Mais il faut tenir compte du principe de réalité : on ne peut pas tout faire tout de suite. Notre transition a été la plus pacifique et la moins coûteuse en vies humaines. C’est aussi l’une des plus rapides dans le monde : au Portugal, il aura fallu huit ans pour stabiliser la situation», affirme-t-il. Et d’ajouter: «Nous commencerons à voir des résultats d’ici 5 ans», notamment en matière de chômage.

Pendant une manifestation à Tunis, le 11 février 2013, après l'assassinat du leader de la gauche civile Chokri Belaïd (6 février 2013).

Pendant une manifestation à Tunis, le 11 février 2013, après l'assassinat du leader de la gauche civile Chokri Belaïd (6 février 2013).


Questionc choc
Le président tunisien termine son intervention. Place aux questions. Visiblement, le public est composé de nombreux opposants. Et n’est pas du tout sur la même longueur d’onde que le dirigeant.

Celui-ci est ainsi interrogé sur l’assassinat de Chokri Belaïd, à propos duquel «80 % des Tunisiens affirment qu’Ennahda (le parti islamiste qui dirige le gouvernement, NDLR) est derrière», selon la personne qui lui pose la question. «Cet assassinat est une calamité et une catastrophe. La police est sur les dents. Moi, je suis derrière le ministre de l’Intérieur. Il faut trouver le coupable», répond-il.

Moncef Marzouki doit aussi répondre sur des questions concernant son alliance avec Ennahda, ce que d’aucuns appellent le «double langage» de cette formation, et les risques d’islamisation de la société tunisienne.

«Il faut faire venir le maximum de monde à la démocratie. Cela a été le cas avec les ex-communistes qui, dans le passé, ont combattu pour la dictature du prolétariat. Aujourd’hui, chez les islamistes, on trouve des démocrates et des non-démocrates. Si on ne prend pas cela en compte, on nie la complexité de ce mouvement. Chez eux, on ne peut pas parler de double jeu mais de discours multiple ». Au passage, le président tunisien égratigne «ceux qui s’époumonent sur la démocratie» et qui oeuvraient «sous Ben Ali». Précisant, un brin menaçant: «J’ai des archives !»

Les salafistes «non solubles dans la démocratie»
Surviennent du public des questions sur son attitude face aux salafistes et aux «milices armées» des Ligues de protection de la révolution (LPR). Ses opposants lui reprochent avec force d’avoir reçu des représentants de ces groupes. A-t-il vraiment compris les risques que cela représente pour le processus démocratique? Le dirigeant se dit «conscient» des problèmes posés par des éléments «non solubles dans la démocratie». Selon lui, ils sont «dangereux pour l’image de la démocratie,  et de manière isolée. Mais ils ne le sont pas pour l’Etat ni pour la société».

Militant salafiste pendant une manifestation à Tunis le 14 janvier 2013.

Militant salafiste pendant une manifestation à Tunis le 14 janvier 2013.

«Ces groupes concernent une petite marge au sein de la jeunesse, qui vit dans une grande misère et qui comprend de nombreux criminels», constate-t-il. «Reste à savoir comment traiter le problème. Sous Ben Ali, on les torturait. Mais aujourd’hui, il s’agit de rester dans le cadre des lois sans oublier que ce sont des êtres humains. Il faut donc aborder la question de manière multifactorielle qui passe par des mesures complexes : le développement socio-économique, l’éducation, l’action des services de renseignement» Reste à savoir si l’intervenant a convaincu la salle. Et là, ce n’est pas gagné…

Dans la salle, certains parlent de lui comme d’un «bricoleur de la démocratie»... «En discutant avec les LPR et les salafistes, Marzouki décrédibilise l’Etat et légitime les extrémistes. On ne parle pas avec des personnes qui menacent l’Etat», expliquent ensuite des jeunes en marge du colloque. L’un d’entre eux qui a voté pour le CPR, la formation du président tunisien, lors des élections d’octobre 2011, est «en colère» car ce dernier a «déçu (ses) attentes». Et de conclure, lapidaire : «Il a sacrifié son parti pour ses ambitions personnelles

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Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé