Un jeune vendeur à la sauvette s'est immolé par le feu à Tunis

Des membres des forces de l'ordre tentent de porter secours à Adel Khadri, 27 ans, vendeur ambulant de cigarettes sur l'avenue Bourguiba à Tunis, le 12 mars 2013 (REUTERS - Stringer).

Evènement très symbolique le 12 mars 2013 : un jeune vendeur à la sauvette s'est immolé par le feu avenue Bourguiba en plein cœur de Tunis. Il est mort peu après. Il faut se rappeler que le suicide par le feu, le 19 décembre 2010, à Sidi Bouzid (centre) de Mohamed Bouazizi, lui aussi marchand ambulant, fut l’évènement déclencheur de la révolution qui mit fin à la dictature de Zine El Abidine Ben Ali…

Le symbole est double : cette tentative d’immolation a eu lieu dans l’endroit le plus connu de la capitale tunisienne et haut-lieu de la révolution du 14 janvier 2011. Il est même triple. Car le drame s’est produit le jour où le nouveau premier ministre, l’islamiste Ali Larayedh, et son gouvernement cherchaient à obtenir la confiance de l’Assemblée nationale constituante.

Le jeune homme, Adel Khadri, 27 ans, vendeur de cigarettes, a tenté de mettre fin à ses jours en criant : «Voilà la jeunesse qui vend des cigarettes, voilà le chômage» sur les marches du théâtre municipal. Des passants se sont rués sur lui pour éteindre le feu. Brulé au troisième degré à la tête et au dos, il est décédé le 13 mars à l'aube. Selon le porte-parole de la Protection civile, Adel «était démoralisé, son père est mort il y a trois ans, il a trois frères et sa famille est très pauvre».

Comme de nombreux autres jeunes Tunisiens, Ariel survivait comme vendeur à la sauvette, un gagne-pain précaire et illégal. «C’est la misère, cette situation sociale difficile nous oblige à rester plus de dix heures dans la rue pour quelques sous. C’est mieux que d’être au chômage ou de mettre fin à nos jours», explique l’un d’entre eux.

A l’époque de la dictature, cette économie informelle était contrôlée par les Trabelsi, belle-famille de Ben Ali. Mais après la chute de ce dernier, les étalages anarchiques se sont multipliés.

Dans le même temps, les chicaneries administratives n’ont pas cessé. «La police municipale prend un plaisir énorme à confisquer nos marchandises», souligne Farid, 21 ans. «Tant que je n’ai pas de travail fixe, je continuerai à étaler ma marchandise dans la rue et à jouer au chat et à la souris avec les policiers. J’ai une famille à nourrir», ajoute son collègue Salem. Petite précision : Mohamed Bouazizi avait commis son geste fatal après avoir vu sa marchandise confisquée par des membres des forces de l’ordre. Lesquels l’avaient également humilié…

Plusieurs cas d’immolation par le feu ont eu lieu dans le pays pendant et après la révolution, largement liée aux problèmes économiques et sociaux de la Tunisie. Pour autant, le renversement de la dictature n’a pas permis d’améliorer le sort des personnes défavorisées et des chômeurs. Selon les statistiques officielles, un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté et on compte quelque 700.000 chômeurs (dont 24 % de jeunes diplômés) pour 11 millions d’habitants.

Depuis plusieurs mois, grèves et manifestations se multiplient. En novembre, plusieurs centaines de personnes ont été blessées lors d’affrontements avec la police à Siliana (nord-ouest). En clair : tous les ingrédients sont là pour une nouvelle explosion dans un pays plongé dans une profonde crise politique… Laquelle a été aggravée par l’assassinat, le 6 février, de l’opposant de gauche, Chokri Belaïd.

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Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé