Après le printemps, l’hiver. A quand un nouveau printemps ?

Il y a un peu plus de deux ans, la Tunisie, suivie de l’Egypte, accomplissait la première des révolutions du «printemps arabe». Les Editions Elyzad viennent de publier «Rêves d’hiver au petit matin», beau petit recueil de textes et de dessins. Lesquels expriment des espoirs. Mais aussi beaucoup de doutes. Les tensions dramatiques qui assaillent ces pays vont-elle faire oublier les rêves ?

Ce qui frappe d’emblée dans ce recueil, c’est l’extraordinaire diversité des créateurs réunis par Bernard Magnier : Tunisie, Egypte, Liban, Cuba, Roumanie, Algérie… «Poète corse-kabyle vivant en France», «écrivain ex-yougoslave résidant à Paris»«écrivain tchadien résidant au Mexique», «écrivain haïtien»... Le monde entier réuni sous la barrière de la francophonie.

En parcourant le livre, l’on voit et perçoit les espoirs soulevés par le printemps arabe, «succession d’émotions et de sentiments confus et parfois contradictoires». «Je n’oublierai jamais cette joie, cette fierté d’avoir vécu l’Histoire en direct, pouvoir la raconter un jour à mes enfants», écrit Wahiba Khiari, romancière algérienne résidant en Tunisie. Malika Madi, auteure belge d’origine algérienne, évoque, «l’étincelle qui embrasa le monde», allusion possible au «Dix jours qui ébranlèrent le monde» de l’écrivain américain John Reed sur la révolution soviétique en 1917. Révolution ? «Le surgissement de l’inattendu, les chemins qui s’inventent sans autre garantie que l’espérance», pour Georgia Makhlouf, journaliste et romancière libanaise.

Mais le temps passe. Comme les saisons. Après le printemps (et l’été) surviennent l’automne. Et l’hiver. Un «sale temps pour le printemps arabe», comme le pense l’écrivain algérien Derri Berkani. Et de fait, un «sale temps» est tombé sur la Tunisie, entre assassinat de l’opposant Chokri Belaïd et attaques salafistes. Ainsi que sur l’Egypte, elle aussi minée par les violences et les désillusions. «Les révoltes ouvrent une brèche dans laquelle s’engouffrent, non ceux qui méritent le pouvoir, mais ceux qui le désirent», pense Ananda Devi, romancière et poète mauricienne résidant en France.

Aujourd’hui, ces pays restent submergés par de multiples problèmes. «Mille questions attendent d’être traitées» comme le chômage qui accable nombre de Tunisiens ou d’Egyptiens, observe Fouad Louri, écrivain marocain résidant à Amsterdam, dans un texte intitulé «L’illusion lyrique et l’économie». Une photo montre un mur sur lequel un graffiti explique : «G faim». Petite précision : le mot «faim» remplace un «8», celui de «G 8»… La révolution, une «illusion» ?

Le blogueur et caricaturiste _Z_ trouve la force d’en rire. Avec un (excellent) dessin rappelant le radeau de la Méduse (peinture de Géricault) et intitulé «Quand les salafistes vous mènent en bateau». Une dizaine de naufragés sont entassés autour de l’unique voile de l’embarcation de fortune. Et l’un des naufragés, en costume blanc, de lancer à la cantonade : «Je propose que l’on voile les femmes et que l’on aménage un espace de prière». Tout un programme…

Sortira-t-on un jour de l’hiver ? «Le soulèvement populaire de la Tunisie a déjà changé le sens de l’histoire ! Qui d’entre nous aurait pensé voir, à si court terme, (...) ce refus radical de l’écrasement et de l’humiliation ? (…) Nous avons appris à nous tenir debout, et cela est irréversible», répond Mahi Binebine. Après l’hiver vient le printemps. Mais où est l’hirondelle qui l’annonce ?

Rêves d'hiver au petit matin
Les printemps arabes vus par 50 écrivains et dessinateurs
Textes inédits et dessins recueillis par Bernard Magnier.
Editions Elyzad

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé