Différents signes montrent que la mouvance salafiste poursuit son essor en Tunisie, alors que les évènements du Mali peuvent faire craindre une déstabilisation du pays. Pendant ce temps, la capitale tunisienne s’enfonce dans la crise politique.
Deux agents des forces spéciales tunisiennes ont été blessés lors de heurts avec des djihadistes présumés dans la nuit du 29 au 30 janvier 2013 à Kasserine (centre-ouest), non loin de la frontière algérienne. Ils étaient en train d’interpeller l’un des suspects quand ses deux complices ont ouvert le feu, a raconté un responsable policier. Selon une source au sein de la garde nationale, citée par l’AFP, les trois hommes seraient des salafistes liés à un groupe pourchassé pendant une dizaine de jours en décembre dans la région de Kasserine. Fin décembre, les autorités tunisiennes avaient annoncé l’arrestation dans cette zone de 16 hommes qui seraient liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
Autre information inquiétante : des kalachnikovs et de la marijuana ont été saisis à l’intérieur d’une voiture en Libye dans la région de Tataouine (sud-est). A rapprocher sans doute du fait, souligné par les spécialistes, que la Tunisie, comme la Libye et l’Algérie, est peut-être devenue une zone importante de trafics d’armes notamment à destination des groupes djihadistes dans le nord du Mali. Mi-janvier, les trois pays avaient signé un accord pour aboutir à un renforcement des contrôles et à une coopération accrue contre le trafic d’armes, de drogue, la traite des personnes et le «terrorisme» dans la région. Petit rappel : 11 membres du commando (sur une trentaine), qui avait mené la prise d’otages près d’In Aménas en Algérie, site gazier à la frontière libyenne et à 300 km au sud de la Tunisie, seraient tunisiens.
Pour l’heure, des militaires ont été déployés fin janvier pour protéger des installations pétrolières et gazières au Sahara, non loin des frontières algérienne et libyenne. Il s’agit de «mesures de précaution» à la suite de la prise d’otages d’In Aménas en Algérie, selon les autorités tunisiennes. Plusieurs sociétés étrangères participent à l’exploitation du pétrole et du gaz en Tunisie : l’italien ENI, le franco-britannique Perenco, l’autrichien OMV, le canadien Winstar…
Le risque représenté par les groupes salafistes
Le président tunisien, Moncef Marzouki, a récemment admis ne pas avoir «mesuré» le danger que représentent les groupes djihadistes. Il a estimé que son pays se transformait en «corridor» pour les trafiquants et les extrémistes.
D’une manière générale, l’essor de la mouvance salafiste en Tunisie ne manque pas d’inquiéter. Les incidents se sont multipliés ces derniers mois. Le point d’orgue étant l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis à Tunis le 14 septembre 2012, attaque qui avait fait quatre morts parmi les assaillants. La plupart de ces derniers étaient issus de cette mouvance, à qui l’on attribue le saccage d’une quarantaine de mausolées soufis ces derniers mois.
La figure de proue des salafistes est un vétéran de l’Afghanistan, Abou Iyhad, de son vrai nom Seif Allah Ibn Hussein, qui dirige l’organisation Ansa Al Charia (Partisans de la Charia). Malgré ces démentis, il est soupçonné d’avoir coordonné l’attaque contre l’ambassade américaine. Actuellement en fuite, Il est notamment recherché «pour complot contre la sécurité intérieure du pays» et pour la formation d'un groupe «en vue de commettre un acte terroriste» en Tunisie et à l'étranger, a souligné le juge d'instruction. S'il est jugé, il risque la peine de mort.
Dans une interview (interdite) à la radio Mosaïque FM, Abou Iyhad affirme qu’«il n’y a pas de raison de faire le djihad en Tunisie. C’est pour cela que des dizaines de jeunes partent en Syrie». «Actuellement, nous menons un travail social, de charité et de prédication», ajoute-t-il. Il appelle par ailleurs à un dialogue avec les islamistes du parti Ennahda, qui dirigent le gouvernement. A ses yeux, les membres de ce parti «ont les mains liées par le gouvernement parce qu’il obéit aux conditions de l’Occident».
Pour Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris, les régimes issus des révolutions arabes, en voulant se démarquer de la logique du tout répressif des dictatures déchues, n'ont pas évalué l'ampleur de la menace salafiste. Ces «nouveaux régimes ont beaucoup de mal à placer le curseur. Par exemple, la libération d'Abou Iyadh a été une erreur majeure: ce n'était pas un prisonnier d'opinion mais un collaborateur de longue date d'Al-Qaïda», estime l’universitaire.
Pendant ce temps, Tunis s’enfonce dans la crise politique. Motif : Ennahada, ses alliés de la coalition au pouvoir et l’opposition n’arrivent pas à s’entendre sur un remaniement du gouvernement du premier ministre Hamadi Jebali…