Depuis plusieurs mois, des dizaines d’attaques ont visé des mausolées soufis en Tunisie. Les représentants tunisiens du soufisme, la mystique musulmane, accusent des groupuscules salafistes de ces destructions.
Dernier monument en date saccagé (le 23 janvier) : le mausolée, ou zaouia, de Sidi Ahmed Ouerfelli à Akouda (140 km au sud de Tunis), qui a brûlé. Dix jours plus tôt, c’était au tour de celui de Sidi Bou Saïd, haut lieu du tourisme, à une vingtaine de km au nord-est de Tunis, d’être ravagé par le feu. Cette zaouia, sans doute détruite par un cocktail Molotov, avait été édifiée il y a 700 ans en l’honneur d’un saint musulman.
Nombre de Tunisiens sont choqués par ces destructions de monuments, des «lieux de sérénité» qu’ils considèrent comme appartenant à leur patrimoine et à leur identité. La zaouia de Sidi Bou Said était «très connue, très aimée en Tunisie». C'était «un lieu de méditation, les gens (venaient) s’y recueillir, y lire le Coran. Chaque année, les "kharja"(processions, ndlr) (rassemblaient) des milliers de personnes», explique Echmi Ben Azzouz, l’un des gardiens. Le culte du saint qui y est vénéré «fait partie de l’histoire, du folklore national. Il est caractéristique de l’esprit maraboutique, de cet islam joyeux, basé sur les arts», observe Zakia Hamda, originaire de la localité et productrice du documentaire Les passionnés sur les confréries soufies, elle aussi citée par Libé. De rite malékite, l’islam tunisien est une religion modérée.
Le président Moncef Mazouki, ancien militant des droits de l’homme, a condamné «un acte criminel». Le gouvernement, dominé par le mouvement islamiste Ennahda, a promis des mesures «d’urgence». Selon le ministère de la Culture, la surveillance des sanctuaires est devenue «une affaire urgente» vu «que des indices clairs prouvaient l’existence d’une démarche planifiée par certains partis obscurantistes» contre le patrimoine religieux et culturel tunisien. Pour autant, aucune mesure concrète n’a été annoncée. L'Union soufie de Tunisie, créée après les attaques, a «salué» cette initiative. Elle n’en estime pas moins que «le gouvernement a agi très en retard». Elle espère aussi qu’il ne s’agit pas d’ «un simple effet d’annonce».
Les salafistes contre le soufisme
Les radicaux, en particulier les salafistes, considèrent que ces mausolées contreviennent au précepte de l'unicité de Dieu. Selon les partisans d’une lecture rigoriste de l’islam, le soufisme, la mystique islamique, est «blasphématoire» dans la mesure où ce courant de pensée vénère les saints, et non le seul Dieu. L'Union soufie de Tunisie les accuse dès lors de chercher à détruire systématiquement ces sanctuaires. Dans ce contexte, «les confréries soufies ont peur et font profil bas», rapporte Zakia Hamda.
«Les gens derrière toutes les attaques contre les mausolées sont des wahhabites», un courant radical originaire d’Arabie saoudite, se revendiquant salafiste, a affirmé dans une conférence de presse Mazen Cherif, vice-président de l'Union soufie de Tunisie. «Ce n'est que le début, ils vont ensuite détruire les sites archéologiques de Carthage, El Jem et Douga. Puis ils obligeront les hommes à porter la barbe et les femmes le niqab (voile intégral, NDLR). Ils ont toute une stratégie pour changer le pays», a-t-il martelé. Selon l’organisation, ces wahhabites financeraient depuis l'étranger ces attaques menées par leurs partisans tunisiens mais aussi par des tenants du régime déchu du dictateur Zine El Abidine Ben Ali ou des mendiants payés pour l'occasion. Le wahhabisme est aujourd’hui religion officielle en Arabie saoudite.
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Pour aller plus loin: le site de l'association Touensa