Des milliers de Tunisiens ont manifesté lundi 13 août au soir contre Ennahda, le parti islamiste au pouvoir, accusé de s'en prendre aux droits des femmes. Des droits qui existent dans le pays depuis plus de 50 ans.
Ce rassemblement de l'opposition était le plus important depuis une marche interdite et violemment dispersée en avril dans la capitale tunisienne.
«L'État assure la protection des droits de la femme sous le principe de complémentarité avec l'homme au sein de la famille en tant qu'associée de l'homme dans le développement de la patrie», stipule le projet d’article 28 de la future Constitution tunisienne, adoptée le 1eraoût dernier par une commission plénière de l’Assemblée nationale constituante. Aux yeux des rédacteurs, la Tunisienne ne serait donc plus «égale» à l’homme mais«complémentaire». Un mot, un seul mot qui change tout !
Pour la majorité au pouvoir au Parlement, dirigée par le parti islamiste Ennahda, s’agit-il d’un moyen pour revenir sur un droit acquis ? Un droit acquis en Tunisie il y a tout juste 56 ans, lors de la promulgation par le président Habib Bourguiba du Code du statut personnel, le 13 août 1956.
Ce code est sans équivalent dans le monde arabe. L’égalité homme-femme est ainsi inscrite officiellement dans la loi. Le texte interdit la polygamie et la répudiation, autorise le divorce judiciaire et le mariage civil. Inutile de préciser qu’il marque profondément la société tunisienne, où les femmes sont présentes dans de nombreux domaines d’activité.
«Annexée à l’homme»
«On dit ‘complémentaire’ de l’homme en français. En arabe, cela se dit ‘annexée’ à l’homme», souligne la présidente de l’antenne tunisienne d’Amnesty International, Sondès Garbouj. «La femme n'est donc pas un être qui existe par lui-même, qui est libre de ses choix. Si vous définissez la femme comme annexe, tout est permis», ajoute-t-elle. «Cela est dangereux, parce que certaines ne voient pas la dangerosité du mot complémentarité. Or derrière ce mot, c’est tout un mode de vie, tout un modèle de société qu’on veut véhiculer et inculquer à la nouvelle société», explique de son côté la sociologue Khadija Chérif.
Policière en train de régler le trafic avenue Boueguiba à Tunis (20-10-2011)
L’affaire, qui a été rendue publique par une députée du parti social-démocrate Ettakatol, pourtant membre de la majorité gouvernementale (avec Ennahda et une autre formation de gauche, le Congrès pour la République du président Moncef Mazourki), soulève un tollé notamment parmi les associations des droits des femmes. «La femme est une citoyenne au même titre que l’homme (…) et n’est pas définie en fonction de l’homme», rappelle unepétition en ligne. Laquelle avait déjà recueillie, le 13 août, plus de 15.500 signatures. «Je suis une femme tunisienne et avant d'être une femme ou une Tunisienne, je suis un être humain et une citoyenne à part entière», déclare par ailleurs le texte.
«Echange» et «partenariat»
Face à ces critiques, Ennahda ne cesse d’affirmer son attachement au Code du statut personnel et au droit des Tunisiennes. Mais ses adversaires lui reprochent, comme souvent, d’avancer masqué et de jouer sur les mots.
«Complémentarité ne veut pas dire inégalité», rétorque la vice-présidente Ennahda de l’ANC, Mehrzia Nabidi. «Dans la complémentarité, est-ce qu'il y a une inégalité d'une part ou d'une autre ? Dans la complémentarité, il y a justement un échange, un partenariat», ajoute-t-elle.
«Certains députés ont vu dans cette formulation un recul sur les principes fondamentaux. Mais ce principe fait l’objet d’un accord entre Ennahda et ses partenaires» de gauche au sein de la coalition gouvernementale, a assuré le président du parti islamiste, le très influent Rached Ghannouchi.
«Nous demandons le retrait pur et simple de l’article qui constitue une violation des acquis des femmes et de leur humanité», réagit la présidente de l’Association des femmes démocrates, Ahlem Belhaj.
La Tunisienne Habiba Ghribi après avoir gagné la médaille d'argent aux 3000 m steeple pendant les JO de Londres (6-8-2012)
Short rouge
Loin d'être anecdotique, cette polémique intervient alors que de nombreuses femmes dénoncent des pressions islamistes croissantes. Ainsi, un débat a fait rage sur internet entre islamistes et laïcs sur le… short rouge de l'athlète Habiba Ghribi, médaillée d’argent aux 3000 m steeple aux JO de Londres et première Tunisienne à être jamais montée sur un podium olympique en athlétisme. «C’est une médaille pour tout le peuple tunisien, pour les femmes tunisiennes, pour la nouvelle Tunisie», a déclaré Habiba Ghribi à l’issue de sa course. Des radicaux n’en ont pas moins réclamé le retrait de sa nationalité pour cette histoire de short. Carrément.