L'instance tunisienne chargée de réformer le secteur des médias pour garantir leur indépendance s'est sabordée le 4 juillet 2012, accusant le gouvernement islamiste d'user d'«outils de désinformation et de censure». Pendant ce temps, les tensions s'accumulent entre le président Marzouki et le gouvernement d'Ennahda et des pressions judiciaires s'accroissent sur certains universitaires...
Menaces sur la liberté de la presse ?
«Nous avons constaté à plusieurs occasions le recours par le gouvernement aux outils de désinformation et de censure (qu'utilisaient) l'ancien régime» de l'ancien dictateur Zide Ben Ali, a indiqué le président de l'Instance indépendante chargée de réformer l'information et la communication (INRIC). «L'Instance met en garde contre la gravité de la situation dans le domaine de l'information», a ajouté Kamel Labidi. Ce journaliste avait été contraint à l'exil du temps de Ben Ali.
Selon lui, le gouvernement dominé par le parti islamiste Ennahda a «ignoré» le rapport de l'INRIC de fin avril qui notait déjà des «dérives» et appelait à «remédier à la destruction systématique des médias».
L'INRIC a été créée après la révolution de 2011 pour réformer le secteurdes médias et garantir la liberté d'expression et de la presse dans le pays. Ces derniers mois, cet organe et plusieurs organisations de défense des droits de l'homme ont dénoncé le manque d'empressement du gouvernement en la matière. Il s'agit notamment de l'application de deux décrets destinés à garantir la protection des journalistes et jetant la base d'un cadre régulateur pour les nouveaux médias audiovisuels.
Dernière affaire en date dans le monde médiatique tunisien: le limogeage de Sadok Bouaben, directeur de la télévision nationale. Selon les médias officiels, il est reproché à sa chaîne d'avoir invité à l'antenne une ex-responsable du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti du président déchu.
Tensions entre le gouvernement dominé par les islamistes et le président Moncef Marzouki
Dans le même temps, de vives tensions opposent le gouvernement d'Ennahda et le chef de l'Etat, Moncef Marzouki, issu, lui, d'un parti laïc (le Congrès pour la République (CPR). Ce dernier s'est offusqué de l'extradition controversée de l'ex-premier ministre libyen, Al Baghdadi Al Mahmoudi, le 24 juin vers Tripoli. La décision avait été prise par le premier ministre (membre d'Ennahda), Hamed Jebali.
Cette extradition a été vivement contestée par plusieurs organisations locales et internationales de défense des droits de l'homme, ainsi que par des personnalités d'opposition. Elles estiment que la mesure viole les principes de droit international et humanitaire et que la Libye n'offre pas les garanties d'un procès équitable. Hamed Jebali a affirmé «avoir eu des garanties écrites, verbales, judiciaires d'un procès équitables».
D'autres désaccords ont alourdi le climat. A commencer par la décision du président de limoger le gouverneur de la Banque centrale, Mustapha Kamel Nabli, semble être restée sans effet.
Pression sur l'Université
Le parquet a requalifié le 5 juillet les faits reprochés au doyen de la faculté des lettres de la Manouba à Tunis, Habib Kazdaghli. accusé d'avoir agressé une étudiante en niqab. Poursuivi dans un premier temps pour une agression sans vérité, il encourait 15 jours de prison. Mais avec la requalification, il se voit désormais accusé d'acte de violence commis par un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, crime passible de cinq années de détention.
L'universitaire, qui s'estime au contraire victime d'une agression, a dénoncé un procès visant l'université, la «modernité et le savoir». «Cette histoire est un prétexte pour (défendre) un autre projet de société, celui de séparer les filles et les garçons à l'université», a-t-il dit.
Un bras de fer oppose la faculté de la Manouba (13.000 étudiants) aux salafistes depuis le 28 novembre: des étudiants et des personnes se réclamant du salafisme avaient alors organisé un sit-in pour réclamer l'accès en cours des étudiantes en niqab.