Depuis plusieurs mois, la violence salafiste inquiète les Tunisiens. Le salafisme est «un phénomène bruyant, nocif pour l'image de marque de la Tunisie et dissuasif pour les touristes (...) mais finalement peu dangereux pour la société car elle le rejette massivement», estime le président tunisien, Moncef Marsouki, dans une longue interview à L'Express.
Moncef Marzouki, ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, démi par le régime Ben Ali de son poste de professeur à l'université de Sousse, a fait «le choix de gouverner» avec le parti islamiste Ennahda parce qu'il était «essentiel (...) de parvenir à un terrain d'entente avec la fraction la plus conservatrice de la société représentée par ce parti».
Vis-à-vis du phénomène salafiste, il explique qu'«en ce qui le concerne» (on notera la nuance), il a «toujours été partisan de la plus grande sévérité». Il insiste sur sa volonté de «défendre» les droits et les libertés auxquels les Tunisiens sont habitués.
A propos du souhait d'Ennahda de sanctionner les «atteintes au sacré» (notion vague clairement destinée à sanctionner les artistes qui, dans des oeuvres jugées «impies», s'attaqueraient à des éléments sacrés comme la religion), il réplique: «La liberté d'expression et la liberté de création (...) doivent être préservées contre vents et marées. Cela ne veut pas dire que les dérapages ne puissent pas être sanctionnées par les tribunaux, au cas par cas. Mais la liberté doit rester la règle, et la sanction, l'exception».
Concernant l'analyse du phénomène salafiste, Moncef Marzouki pense qu'il a été «sous-estimé». Il «a poussé à l'intérieur de la dictature» Ben Ali, «comme dans une cocotte-minute, à l'abri des regards. (...) La répression, la misère, un contexte arabe et international marqué par l'apparition d'Al-Qaeda, ont fait le reste». A ses yeux, le phénomène est «complexe et pluriel». «Certains salafistes restent dans le registre de la prédication, d'autres se situent sur le terrain politique, d'autres enfin ont recours à la violence».
Et au-delà de l'aspect répressif, comment combattre le salafisme ? «A terme, le vrai combat contre ce courant passe par la lutte contre la misère cachée de quartiers où la petite criminalité est bien souvent le seul moyen de survie. Derrière le salafisme, il y a une sorte de lumpenprolétariat. Si l'on ne comprend pas cela, on reste à la surface des choses».
En France, par exemple, comprend-on cela et resterait-on «à la surface des choses» ? «Je trouve que mes amis français ont un peu trop tendance à plaquer leur façon de voir les choses sur la Tunisie, sans prendre en compte ses spécificités culturelles. Et la peur de l'islam frise parfois l'islamophobie».