Le gouvernement dirigé par le mouvement islamiste Ennahda manie tantôt la carotte, tantôt le bâton face aux nombreux débordements des militants salafistes. Ce qui n’est pas fait pour rassurer ses adversaires.
Menace sur l’alcool
Le ministre tunisien de la Justice, Noureddine Bhiri, qui appartient au gouvernement dirigé par le parti islamiste Ennahda, a mis en garde lundi 21 mai les salafistes. Ceux-ci ont récemment tenté d'interdire la vente d'alcool dans la ville de Sidi Bouzid (centre) en fermant par la force plusieurs bars. «Je dis à ces gens là -les salafistes - qui pensent que l'Etat a peur d'eux, que la promenade est terminée et que ceux qui dépassent les lignes rouges vont être punis», a-t-il précisé sur les ondes de la radio privée Express FM.
Sidi Bouzid est une ville symbolique : c’est de là qu’est partie la révolution tunisienne en décembre 2010, après l'immolation par le feu du jeune vendeur ambulant Mohamed Bouazizi, devant le gouvernorat.
Depuis le 18 mai, des salafistes ont demandé aux propriétaires des bars et de points de vente de fermer leurs locaux avant d'avoir recours à la force pour «imposer leur loi», selon une source officielle. Le lendemain, ils ont mis le feu à un dépôt d'alcool, suscitant la colère de quelques habitants et des vendeurs d'alcool. Ceux-ci ont répliqué en mettant le feu à un tas de pneus et en tirant avec un fusil de chasse devant une mosquée au centre de la ville, selon le ministère de l’Intérieur. «Une enquête a été ouverte pour déterminer les responsabilités», a-t-il ajouté cette source.
La montée des salafistes radicaux suscite une vive crainte chez de nombreux Tunisiens. Depuis les élections d'octobre 2011, les islamistes radicaux se manifestent à tout bout de champ. Dans les universités pour imposer le port du niqab (lien). Devant les tribunaux pour fustiger une chaîne de télé accusée d'avoir diffusé «Persépolis», film français, jugé blasphématoire, de Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi. Dans les manifestations où des journalistes ont été agressés. Devant les locaux de la télévision à Tunis…
Chaud et froid
De son côté, le gouvernement souffle le chaud et le froid et reste très ambigu. Il a condamné les attaques contre les vendeurs d’alcool. Il a interdit à deux prédicateurs marocains, Cheikh Hassan Kettani et le cheik Omar Haddouchi, d’entrer dans le pays. Selon le site mag14, ce dernier avait « été condamné à 30 ans de prison au Maroc pour son implication présumée dans les attentats de Casablanca de mai 2003. Il a été gracié par le roi Mohammed VI en février 2012. Et dans une interview au Monde en mars dernier, le ministre de l’Intérieur, Ali Larayhed, membre d’Ennahda, disait voir dans le mouvement salafiste le «plus grand danger pour la démocratie».
Les intégristes n’apprécient pas forcément. D’où l’avertissement lancé par l’un de leurs leaders, Abou Lyadh, sur le site Kapitalis, lui-même cité par slate. «Ennahda doit comprendre une fois pour toute que les salafistes, et eux seuls, peuvent gouverner la Tunisie et que le parti de Rached Ghannouchi [ledader Ennahda, NDLR] s’est enfin démasqué en ne s’étant pas opposé au rapatriement de deux Marocains. C’est un camouflet pour les salafistes en général et une humiliation pour leurs deux hôtes en particulier".
Un parti salafiste autorisé
Pour autant, le gouvernement est très souvent accusé de mollesse face à la mouvance intégriste (lire à ce propos sur ce blog l’interview de l’universitaire Abdelkrim Hizaoui). Sa décision de reconnaître un parti salafiste, Islah (Réforme), n’est pas faite pour rassurer les adversaires du pouvoir actuel. D’autant plus qu’elle va permettre au nouveau mouvement de se présenter aux élections.
«Nous n’utiliserons pas la force pour interdire le vin ou les maillots de bain»
Les propos du dirigeant d’Islah, Mohamed Khouja, ne sont pas forcément faits non plus pour calmer les inquiétudes.
«Certains courants religieux disent que la politique est sale et ne s'accorde pas avec la religion. Nous ne sommes pas d'accord avec eux et nous disons que l'islam est une religion de liberté et de démocratie», a-t-il expliqué à Reuters. Il assure que son parti respectera le régime actuel de la Tunisie et le caractère civil de l’Etat. Il ajoute : «Notre parti sera ouvert à tous les Tunisiens qui partagent nos valeurs (...) mais nous ne tolérerons aucune attaque contre nos rites religieux et nous exprimerons les demandes des musulmans», a-t-il ajouté.
Islah et son chef n’entendent pas être taxé d’intégristes. «Nous ne voyons aucune contradiction entre la charia et le modernisme contemporain», a expliqué Mohamed Khouja, à la chaîne américaine Bloomberg. «Notre parti politique se fonde sur des principes de réformes avec l’héritage islamique. Nous n’utiliserons pas la force pour interdire le vin ou les maillots de bain», a-t-il déclaré à Bloomberg. «Au contraire, nous utiliserons la persuasion et le conseil pour changer les attitudes».
Les salafistes prônent une stricte observance des paroles et actes du Prophète. Ils exigent l’application de la charia, son inscription dans la législation et l’instauration d’un Etat islamique.
Le parti Ennahda, tiraillé entre faucons et colombes, fait très attention à ne pas s'aliéner sa base, dont une grande partie est proche de la doctrine salafiste, rappelait récemment le chercheur Alaya Allani, spécialiste des mouvements islamistes au Maghreb. Ceci expliquerait-il l'attitude des autorités tunisiennes ?