Depuis plusieurs mois, l’université de la Manouba est le théâtre d’incidents avec des salafistes. Ceux-ci, qui perturbent les cours et ont empêché le doyen d’accéder à son bureau, demandent notamment que les étudiantes puissent porter librement le voile. Le jour où nous y étions (le 26 avril 2012), la situation était calme. Nous avons pu discuter librement avec plusieurs étudiants islamistes.
Les vacances au secours de l’université ?
«En ce moment, la situation est calme. Les islamistes se réunissent juste dans un bâtiment administratif à l’entrée de l’université», explique un représentant de l’administration. «La majorité d’entre eux sont des étudiants, aidés par des salafistes. Mais en décembre, beaucoup venaient de l’extérieur. Aujourd’hui, ils sont mieux organisés, ils se contrôlent un peu. Mais on sent que ce ne sont pas eux les décideurs. Le facteur vacances va peut-être aider à résoudre le problème». Outre l’autorisation du port du niqab dans les salles de cours, les protestataires demandent la mise à disposition d’une salle de prière et l’annulation d’exclusions temporaires frappant des salafistes.
Quand nous les avons abordés, les étudiants (uniquement des jeunes hommes), certains portant la barbe et la djellabah, d’autres, barbus ou non, habillés de jeans comme tous les jeunes Tunisiens, étaient au départ un peu méfiants. Mais rapidement, la glace s’est rompue et les langues se sont déliées. Les échanges sont alors devenus franchement cordiaux.
«Laïcité à la française»
«Dans 10 ans, nous occuperons la France !», répètent plusieurs d’entre eux avec un sourire, histoire de provoquer un peu le journaliste français. Par la suite, un autre, toujours en riant, nous précisera que ce sera une «occupation religieuse et spirituelle»… Un peu gênés, ses copains lui demanderont de se taire.
«Ce qui se passe ici, c’est de la faute du doyen et des professeurs. Ils ont été formés à la laïcité à la française et évoquent l’esprit européen des Lumières», ajoute un autre quand nous lui expliquons la raison de notre présence à la Manouba. «Pourquoi en France y a-t-il des problèmes avec l’islam, alors qu’il n’y en a pas au Canada, en Grande-Bretagne et ailleurs?», demande un troisième. Qui demande encore : «Pourquoi l’Occident fait-il la guerre au monde entier ?»
Puis l’un d’eux interrompt la discussion pour nous dire qu’ils vont aller prier, mais que nous sommes le bienvenu et que nous pouvons les attendre dans la salle, le temps de la prière. Au bout de dix minutes, comme promis, ils reviennent effectivement. S’engage alors une discussion à bâtons rompus. Visiblement, nos étudiants, qui passent un peu d’un sujet à l’autre, apprécient les échanges.
La beauté d’une femme et le foulard
«La démocratie, c’est une idée des philosophes de la Révolution, qui étaient francs-maçons, et du XIXe siècle», affirme un jeune homme. Et de citer Montesquieu et «L’ Esprit des lois». «Mais l’histoire de la démocratie, c’est un mensonge qui remonte à l’antiquité grecque. Et aujourd’hui, que voit-on? Que la plupart des pays européens ont du mal à intégrer les minorités de musulmans et d’Arabes. La démocratie, ce n’est pas pour ces derniers», ajoute le même.
«Par exemple, nous, nous demandons que les femmes puissent porter librement le voile alors qu’en France, c’est interdit», explique l’un de ses compagnons. Un autre commente gravement : «évidemment, la beauté d’une femme doit pouvoir être cachée derrière un foulard».
Pour eux, l’islam est vraiment «démocratique». «Il accepte toutes les religions. C’est donc pour cela que nous demandons que l’on fasse la même chose vis-à-vis de nous. Nous ne voulons que notre place. D’autant plus que nous sommes dans un pays musulman. C’est donc normal que notre religion soit acceptée à l’université», explique un jeune homme en djellabah. Si l’on en croit ses propos, les chrétiens sont moins fervents que les musulmans «car ils ne prient pas comme nous tous les jours, mais seulement le dimanche».
Se joint alors à la discussion un adulte qui tient à dire que «toutes les religions, islam, christianisme ou autres, sont sœurs, qu’elles adorent le même Dieu». Il nous dit qu’il a vécu à Dinard, qu’ancien enseignant, il a été exclu de l’école il y a une vingtaine d’années par le régime de Ben Ali, qu’aujourd’hui, il attend un poste. Mais il élude les questions sur les raisons de sa présence avec les jeunes…
«Dieu est le moteur de tout»
«Dieu a voulu que la religion l’emporte sur tout. C’est le moteur de tout», poursuit l’adulte.
Et la politique dans tout ça ? Un autre explique qu’aux élections, il choisit Ennahda, le parti islamiste au pouvoir. Et qu’il est favorable à l’alternance démocratique. Un de ses condisciples précise : «Nous sommes de simples étudiants, nous n’appartenons pas à des partis politiques».
Quand on évoque les récents incidents à la télévision publique, les jeunes estiment qu’ils ont été fomentés par des «étudiants de la gauche extrême qui voulaient utiliser la chaîne à des fins politiques». Et l’un d’eux précise : «tout cela n’a aucune importance. Le vrai problème, en Tunisie, c’est le problème de la pauvreté, celui de la marginalisation des régions déshéritées. Ce qui est important, c’est de le régler. C’est le problème par excellence».