Inquiétudes tunisiennes

La place du gouvernement à Tunis et l'entrée de la Médina. (FTV - Laurent Ribadeau Dumas)

Apparemment, tout paraît normal à Tunis pour le journaliste étranger qui arrive de France. On retrouve la ville telle qu’on l’a laissée la dernière fois : à la fois paisible et trépidante, avec ses terrasses de café ensoleillées, ses encombrements et la gentillesse des Tunisiens. Pourtant …

Certes, quelques femmes complètement voilées ont fait leur apparition. Mais apparemment, la plupart continuent à déambuler comme avant, sans se soucier des regards masculins.  Et les Tunisiens, jeunes et moins jeunes, sont toujours aussi affables. Quand on demande, par exemple aux chauffeurs de taxi, comment les choses se passent avec le nouveau gouvernement mené par le parti islamiste Ennahda, on vous répond «bien !». Et puis, on passe à autre chose…

Agressions salafistes
Mais voilà qu’on pose la même question à une dame qui vous reçoit chez elle. Et là, la réponse est plus directe : «Vous savez, on a peur ! Regardez, il y a encore eu une attaque samedi de salafistes contre des militants du réseau Destourna à Douz dans le sud du pays». Une information confirmée sur Twitter et certains sites internet. Si l’on en croit ces sources, des personnes «contusionnées» auraient été transportées à l’hôpital. Ce n’est pas la première fois que sont signalés des incidents avec des salafistes, notamment à l’université La Manouba.

Pour cette raison, le réseau Destourna (terme qui signifie «notre Constitution» en arabe), qui regroupe des organisations de gauche et des membres de la société civile, avait appelé le lundi 23 avril à l’espace d’art et de création El Teatro à une réunion pour dénoncer haut et fort de tels actes.

«Il faut dire ‘stop’ !»

Dans la salle du théâtre d'El Teatro...

Dans la salle du théâtre d'El Teatro...

Ce matin du 23 avril, il y a effectivement du monde dans la salle de théâtre situé dans le complexe de l’hôtel Mechteb. Apparemment, il y a là du «beau linge» : des avocats, des députés, des artistes… Beaucoup de gens ont l’air de se connaître, s’embrassent.

Le public écoute, l’air grave, les orateurs à la tribune. Des discours en arabe, deux mots reviennent souvent : «Démocratie» et «Ennahda». Plusieurs télévisions se sont déplacées pour l’occasion. Al Jazira aurait fait le déplacement, comme la fameuse chaîne Nessma, qui a créé le scandale l’an dernier en diffusant le film Persépolis.

«Notre message, c’est ‘halte à l’impunité !’», nous a expliqué Hecmi Ben Frej, président du Manifeste du 20 mars, l’un des groupes à l’origine de la fondation du réseau Destourna. «On fait la constatation que si ces gens [sous-entendu les salafistes, NDLR] ont commencé ce type d’actions, s’ils les poursuivent, c’est qu’ils se sentent protégés. Il faut voir qu’il n’y a eu contre eux aucune action en justice. Et tout cela a une explication : l’impunité dont ils bénéficient de la part des autorités», estime M. Ben Frej.

Et de poursuivre : «Ils ont un scénario très bien huilé. Première étape : des politiques commencent par dénoncer un complot en citant nommément des gens. Puis, l’information est publiée par des journaux de caniveau qui n’hésitent pas à pratiquer la diffamation. L’ensemble est repris sur les réseaux sociaux. Les troupes agissent. Et pour finir, des politiciens, d’Ennahda par exemple, dénoncent les ‘excès’».

Au bout du compte, quel est le bilan de la journée à El Teatro ? Réponse en fin d’après-midi d’une participante: «Il a été décidé d’organiser un front uni contre le violence. Il y a un moment où il faut dire ‘stop !’. C’est aussi l’occasion de rappeler les objectifs de la révolution» qui a entraîné la fin de la dictature Ben Ali. Le slogan de cette révolution, c’était «Dégage !». Sous-entendu : «Dégage, le dictateur !». «Maintenant, nous disons : ‘Dégage, Ennahda !’», s’écrie notre participante.

Mal de vivre

Jeunes chômeurs, originaires du sud de la Tunisie, en grève de la faim près du ministère de l'Emploi et de la Formation professionnelle à Tunis

Jeunes chômeurs, originaires du sud de la Tunisie, en grève de la faim près du ministère de l'Emploi et de la Formation professionnelle à Tunis

Par le plus grand des hasards avait lieu en face d’El Teatro, devant le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle, au même moment que la réunion de Destourna, un sit-in organisé par plusieurs dizaines de jeunes chômeurs, venus du sud, la partie déshéritée du pays. Ceux-ci disent être venus à 200 et avoir entamé une grève de la faim. Certains sont assis de l’autre côté de l’avenue et attendent, désoeuvrés, que le temps passe…

Les écouter, c’est entendre le mal de vivre d’une jeunesse qui n’arrive pas à s’insérer dans la vie active. Abdel nous montre tous les courriers types de refus qu’il a reçus suite à ses lettres de candidature. «J’ai 25 ans», explique Bourawi. «J’ai dû arrêter mes études. Et depuis 2007, je cherche du travail. Chez nous, la vie est dure, surtout dans le sud. Ce n’est pas comme en France, il n’y a pas d’argent pour les chômeurs. Pourtant, j’ai toujours l’espoir d’une vie meilleure. Je veux me marier, je veux avoir des enfants».

A ce  moment de la discussion arrive un petit groupe qui sort du ministère. «Nous avions un rendez-vous avec le directeur de cabinet du ministre de l’Emploi. Il nous a dit que le rendez-vous n’aurait pas lieu !», raconte Mohammed, qui devait participer à la rencontre. «Le ministre d’Ennahda, il blablate. C’est ça, Ennahda ! Mais moi, je ne m’occupe pas de politique, je veux du travail !», s’emporte Youssef qui a voté pour le parti islamiste lors des élections du 23 octobre. Et son copain Bourawi d’ajouter : «On resetera ici le temps qu'il faudra !».

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé