"Dégagements, la Tunisie un an après"

. (FTV )

Très intéressante exposition à l’Institut du monde arabe à Paris (IMA) jusqu’au 1er avril 2012 sur les artistes tunisiens et la révolution de janvier 2011. Celle que l’on appelle aussi «la révolution de la Dignité » (thawrat al-Karama) dont le mot emblématique, crié dans les manifestations par des milliers de Tunisiens, était « Dégage ». Sous-entendu : «Dégage, le dictateur, avec ton régime totalitaire».

«Créateurs et citoyens, acteurs et témoins, les artistes ont accompagné dès les premières étincelles les évènements en cours, l’histoire en marche», explique le panneau à l’entrée de l’exposition. «Ils se sont par la suite interrogés et exprimés sur les différents enjeux qui ont jalonné cette année, tels la liberté d’expression, la laïcité, le respect des religions, le droit des femmes, la mise en marche du processus démocratique, le choix de société mais aussi des questions plus métaphoriques ou existentielles».

Une vingtaine d’artistes font ainsi partager leurs implications, leurs interrogations, leurs doutes, leurs interprétations qu’ils rendent sous différentes formes d’expression, entre modernité et tradition : la photo, la peinture, la sculpture, le dessin… Le résultat est surprenant : à la fois corrosif, plein d’humour, joyeux, triste. Mais aussi plein de vie.

Le visiteur est ainsi accueilli par une grande peinture de Nabil Saouabi, «Le peintre et les baillonnés». La toile fait évidement référence à la mort de Mohammed Bouazizi, le jeune vendeur de fruits symbole de la révolution, qui s’était immolé le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid (centre ouest de la Tunisie). On y voit l’ex-président Zine El-Abidine Ben Ali, venu lui rendre visite à l’hôpital. Entouré de bandages, «comme baillonné par les compresses», le blessé, dont on n’aperçoit pas le visage, fait face «à son bourreau en blanc», selon le commentaire de la toile.

Le chat Willis, extrait d'un dessin de Nadia Khiari dans "Chroniques de la révolution"

Le chat Willis, extrait d'un dessin de Nadia Khiari dans "Chroniques de la révolution"

Le personnage de Zid Ben Ali est ainsi une caricature. Un genre qui a explosé pendant les évènements révolutionnaires. C’est à cette époque que la formidable dessinatrice Nadia Khiari a créé le chat facétieux «Willis from Tunis», qui commente l’actualité au jour le jour. Les aventures du félin sont alors suivies par des milliers de Tunisiens. Le ton est ironique et satirique : «Fin d’une république bananière grâce au suicide d’un vendeur de bananes… Il y a une justice», explique Willis au lendemain de la chute et de la fuite du dictateur. Mais le ton peut aussi être tendre et poétique. Comme lorsqu’on voit le dessin du chat contemplant un ciel nocturne : «A tous ceux qui ont donné leur vie pour que notre rêve de liberté soit possible. Vous êtes notre plus belle étoile».

"Les virus de la révolution", installation de Rym Karaoui

"Les virus de la révolution", installation de Rym Karaoui

L’humour de la dessinatrice n’a rien à envier à celui de Rim Karoui, qui a conçu une drolatique installation de huit sculptures rouges « Les Virus de la Révolution » en résine et peinture. Parmi ces virus : «Freedom» (la liberté en anglais), «Dégage»

Le rouge, couleur de sang. Et symbole de la vie. Comme ce bel «Hymne à la vie» de Majida Khattari, «totems» en céramique et charbon, verts et blancs, couverts de fleurs ou de calligraphie arabe. Des totems montant droit vers le ciel.

"Hymne à la vie", de Majida Khattari

"Hymne à la vie", de Majida Khattari

A côté de cet «hymne» sont cités des vers du poète tunisien Abou El Kacem Chebbi (1909-1934), tirés de «La volonté de vivre» :

«Lorsqu'un jour le peuple veut vivre,
Force est pour le Destin, de répondre,
Force est pour les ténèbres de se dissiper,
Force est pour les chaînes de se briser»
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Des vers qui figurent dans l’hymne national tunisien.

«Grâce à vous», les artistes dont les œuvres sont présentées à l’IMA, «j’ai redécouvert mon pays», la Tunisie, a écrit un visiteur dans le livre d’or qui figure à la fin de l’exposition. On ne peut écrire un plus bel hommage…

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé