Face à Ennahda, il y a peu de demi-mesure : soit on vénère ce mouvement, en bonne place dans les discussions en Tunisie, soit il inquiète. (Publié le 21-10-2011)
Pour certains, des chauffeurs de taxi de Tunis par exemple, Ennahda est le seul parti «propre». A les écouter, les autres seraient «tous pourris». Pour d’autres, nombre de représentants de professions intellectuelles, notamment, c’est au contraire un mouvement d’extrême droite, redoutablement habile. Pour tel universitaire, il a effectivement «un discours et des méthodes qui rappellent Le Pen». Et tel haut fonctionnaire, visiblement inquiet, vous explique que «rien ne pourra se faire» sans Ennahda.
Pour en savoir un peu plus, nous avons pris contact avec le numéro deux du mouvement, Ali Laaridh. Difficile à joindre et très pris en cette fin de campagne électorale, ce dernier n’a finalement pas eu le temps de nous recevoir.
Nous avions tenté de parler à un militant distribuant des tracts dans la rue. Il est presque parti en courant quand il a vu que nous étions journaliste étranger… Finalement, Ali Laaridh nous a fort aimablement conseillé de passer directement au siège d’Ennahda, «dans le quartier de Montplaisir près de la radio Mosaïque FM». Ce siège se trouve dans un immeuble moderne, installé un peu à l’écart d’une grande avenue.
Un accueil courtois et chaleureux
Le journaliste de passage est accueilli par de charmantes jeunes femmes, la tête ceinte d’un foulard. «Veuillez patienter dans la salle d’attente», vous prie l’une d’elle. Sa collègue revient quelques minutes plus tard, vous demandant de faire figurer vos références sur une liste. Arrive ensuite un responsable, un homme cette fois, vous expliquant avec un grand sourire : «Nous recevons beaucoup de journalistes du monde entier. Nous en sommes très heureux. Vous allez pouvoir discuter avec deux personnes, dont le Dr Rhida Chkoudali, l’un des rédacteurs de notre programme économique». Et d’ajouter : «Nous allons faire la prière. Nous revenons dans 10 minutes».
Nous serons donc très courtoisement, voire chaleureusement, reçus pendant 45 minutes par Rhida Chkoudali, professeur en Sciences éco à l’université de Tunis et à l’Institut supérieur de gestion de la capitale tunisienne, et un autre homme, Imed Rezgani. Ils entendent avant tout se montrer à l’écoute de l’interlocuteur étranger. D’aucuns vous diraient qu’on peut trouver leur comportement parfois un peu patelin, avec un discours très modéré (et très rodé) sur tous les sujets… Tolérance, transparence, modernité seront un peu les mots les plus fréquents entendus dans la bouche de nos deux porte-parole.
D’emblée, nous leur demandons pourquoi ils font parfois l’objet d’un tel rejet, notamment chez les intellectuels. «Chez certains intellectuels», nous reprend Imed Rezgani. «Notre action est très mal interprétée. Cela s’explique par l’image diffusée par Ben Ali qui nous amalgamait par exemple à Al Qaïda», ajoute-t-il. «C’est légitime de pouvoir nous critiquer. De notre côté, nous ne voulons exclure personne. Nous voulons réunir tous les Tunisiens et nous sommes favorables à la diversité du peuple», poursuit Ridha Chkoundali. «»
«Nous nous engageons à respecter les droits des Tunisiens. Il n’y aura jamais de recul. Et si c’est le cas, il y a ce mot magique utilisé pendant la révolution : ‘dégage !’», déclare Imed Rezgani en riant. «Dégage !», mot employé par les manifestants anti-Ben Ali pour demander le départ de l’ancien dictateur. En clair, Ennadha, qui au passage récupère le discours de la révolution (auquel, disent ses adversaires, le mouvement n’a pas participé…), dit s’engager à respecter l’alternance politique.
"Ennahda n’est pas le porte-parole de l’islam en Tunisie"
En matière de religion, les deux porte-parole expliquent qu’«Ennahda n’est pas le porte-parole de l’islam en Tunisie». Mais il se trouve que la confession musulmane «est la religion du peuple, la propriété du peuple». «Ici, même les partis d’extrême gauche parlent au nom de l’islam!», affirme le Dr Chkoundali. «Quant à nous, nous en avons notre propre lecture : une lecture modérée qui convient à la modernité».
Exemple : le parti islamique se dit pour la parité hommes-femmes. «Chez nous, certaines filles portent le voile, d’autres pas», dit l’enseignant. Et d’évoquer le problème du chômage des femmes en Tunisie, plus fort que celui des hommes, et qui s’élèverait à 45 %, selon des chiffres attribués à l’ONU. Ennahda entend développer une économie «basée à la fois sur le secteur public et le secteur privé», explique M. Chkoundali. Le mouvement, qui se dit favorable à «un libéralisme modéré», veut «créer 590 000 emplois sur cinq ans grâce à une croissance de 7 % par an». Notamment par une relance du tourisme qui «ne soit pas celui des trois S». S pour «sea, sex and sun», la mer, le sexe et le soleil…
Il veut également mettre en place un «secteur solidaire» reposant notamment sur le mouvement associatif. Par exemple pour développer, par l’intermédiaire d’un système de micro-crédit, des «petits projets en matière de santé et d’éducation». L’argent pourrait aussi venir «sous forme de dons par les riches», ce que l’islam appelle «zalkat», une contribution volontaire des fidèles.
Au bout de 45 minutes, un autre responsable frappe à la porte du bureau où nous nous entretenons avec nos interlocuteurs. «Nous sommes désolés, nous allons être obligés de mettre fin la discussion. Nous devons recevoir d’autres journalistes», explique-t-il. Décidément, on se bouscule beaucoup chez le parti islamiste, par les temps qui courent…