A Tunis, les électeurs ont commencé à voter en masse dans le calme et la bonne humeur. Témoignage. (Publié le 23-10-2012)
«Demain, ce sera le plus beau jour de ma vie. J’ai 36 ans, c’est la première fois de ma vie que je vais voter», nous confiait, fébrile, un Tunisien rencontré samedi soir dans les rues de la Casbah. «Je pense que je vais avoir du mal à dormir !»
Nous ne saurons jamais si notre homme a bien ou mal dormi... Mais une chose est sûre, dès avant 7 heures, quelques minutes avant l’ouverture du scrutin, des queues relativement longues commençaient à se former devant les bureaux de vote. Et dans les rues ensoleillées, l’animation était plus importante que d’habitude à la même heure. «C’est peut-être un signe», pense Mehdi, 38 ans, responsable qualité chez un distributeur de pneus, drapé dans… un immense drapeau tunisien. «Quoi de mieux que de porter ce drapeau ? C’est pour lui que les jeunes ont lutté au moment de la révolution. Et gagné le droit d’exprimer leurs opinions par le vote».
Au bureau du collège Sadiki, fondé en 1875 et installé à deux pas de la place du Gouvernement dans un beau bâtiment blanc de style mauresque, on vient tout seul ou en famille, avec un enfant encore un peu endormi, en cette heure matinale. On fait la queue dans la bonne humeur, on retrouve des copains qu’on embrasse, on se congratule. Certaines personnes, âgées notamment, ont l’air un peu perdues. Mais on sent leur détermination à déposer leur bulletin dans l’urne.«J’ai le devoir d’accomplir mon droit de citoyen», explique, gravement, un vieux monsieur. «C’est la première fois que je vote, Inch’Allah !», s’écrie une dame, la cinquantaine, une joie timide dans les yeux.
«Le peuple tunisien a toujours été calme»
«Vous pouvez observer que c’est calme ici. Le peuple tunisien a toujours été calme», nous fait observer le vieux monsieur. Les portes de l’école s’ouvrent. Les électeurs rentrent lentement. «Ça y est, l’heure de vérité a sonné !», observe Slimane, un universitaire. On se rend près des listes installées dans la cour pour voir si tous les candidats y figurent. Ensuite, on fait une nouvelle fois la queue pour entrer dans le bureau de vote proprement dit. Meriem, une universitaire, est en pourparler avec l’un des responsables du bureau : elle a égaré sa carte d’identité. «Ce pourrait bien être un acte manqué !», plaisante-t-elle. Elle peut présenter son passeport, elle pourra donc voter.
Chaque électeur prend le bulletin, passe dans l’isoloir. Puis dépose son bulletin dans l’urne. Pour prouver qu’il a voté, il doit ensuite tremper son doigt dans l'encre pour éviter les triches… Pour lutter contre les fraudes, justement, on constate la présence silencieuse, mais très attentive, de scrutateurs de plusieurs partis politiques. L’un d’eux, barbu, s’agace de nous voir prendre des photos et demande au président du bureau d’intervenir… Ce que ce dernier ne fera pas.
«Enfin : on l’a fait !»
Un mot est dans toutes les bouches : la fierté. C’est le premier mot qu’emploie Meriem dans l’interview qu’elle donne à une équipe du Guardian TV à la sortie du bureau de vote. «Oui, c’est un grand sentiment de fierté ! Personnellement, je suis très ému. J’espère que l’avenir nous apportera beaucoup de justice», nous confie Mehdi.
Autre bureau de vote, à l’école El Mar. Il est 8h30. La queue est importante. Les esprits s’échauffent. Certains, apparemment, tentent de resquiller… Des militaires arrivent pour voir ce qui se passe. Mais rien de grave, visiblement. Un peu plus bas, sur la même avenue, les files d’attente sont encore plus importantes devant l’école de Bebdjedid. Les files d’attente au pluriel : il y un côté hommes, un côté femmes. «Mais c’est un repère d’islamistes ici, ou quoi ?», s’écrie une passante à voix haute. Interrogé au hasard, un homme répond en souriant : «C’est la tradition !»
Tradition ou pas, les Tunisiens votent en masse. Et rien ne semble tempérer leur joie et leur optimisme. «Que ce soit sous Bourguiba ou sous Ben Ali, nous avons toujours été spoliés de notre destin. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de le prendre en main. On peut se dire : 'enfin : on l’a fait !'», explique un électeur.