Ministre dans la transition démocratique

Le ministre de la Culture, Ezzedine Beschaouch, dans son bureau (FTV - Laurent Ribadeau Dumas)

Comment un expert de l'UNESCO en exil depuis 20 ans devient-il ministre de la Culture de la transition démocratique ? C’est ce qui est arrivé à Ezzedine Beschaouch, archéologue de formation passé par l’Ecole normale supérieure à Paris, qui était, il y a encore quelques mois, secrétaire permanent du Comité international de coordination pour Angkor. Quelle action a-t-il pu mener comme ministre de la Culture dans un contexte politique difficile ? Témoignage. (Publié le 22-10-2011)

C’est du Cambodge qu’Ezzedine Beschaouch a suivi la révolution tunisienne. Il a vécu les évènements par l’intermédiaire de ses enfants qui participaient aux manifestations. Et puis, tout est allé très vite. On l’a appelé pour devenir ministre de la Culture. Il n’a pas hésité. «Je suis venu tellement rapidement que j’ai dû laisser mes affaires là-bas», raconte-t-il en riant.

Il a pris ses nouvelles fonctions le 6 février 2011. «Même si je ne suis pas un politique, je n’ai pas hésité à accepter ce poste. Il faut comprendre qu’on vivait alors un moment fabuleux et tellement souhaité ! Je sentais qu’à mon niveau, je pouvais faire quelque chose pour mon pays, à un moment crucial et particulièrement dur dans l’histoire d’une nation : celui de la transition vers un régime démocratique. Pour moi, devenir ministre, ce n’était pas un honneur, mais une mission : celle de débarrasser la Tunisie d’un système mafieux», souligne Ezzedine Beschaouch.

Contrairement à ce que l’on a pu dire, poursuit-il, Ben Ali avait organisé son système de corruption dès son arrivée au pouvoir en novembre 1987. «Dès les premiers mois, il a mis en place un système des marchés publics où tout passait par lui : c’était un racket organisé au plus haut sommet de l’Etat. Il s’agit d’un exemple sans équivalent dans le monde libre, à quelques encablures de l’Europe», rapporte le ministre.

Pourquoi a-t-il été choisi, lui, pour occuper ce poste ? «Je ne suis pas le mieux placé pour répondre à cette question. Mais je pense qu’on a fait appel à moi parce que j’étais le plus ancien haut fonctionnaire dans cette administration. J’y ai occupé différents postes me donnant une bonne connaissance de ses principaux rouages», explique Ezzedine Beschaouch.

Fin de la censure et "assainissement" de l'administration
L’une des premières missions du nouveau ministre, «tellement évidente», a été de proclamer la fin de la censure. Et plus particulièrement d’arrêter les activités du comité de contrôle des publications. Celui qui se définit comme un «chercheur» et un «homme de terrain» s’est donc retrouvé dans un monde très éloigné de la recherche scientifique… Il a dû très vite apprendre. Première qualité exigée : «le dialogue social avec une seule référence, l’honnêteté intellectuelle. Pendant des mois, j’ai reçu 200 à 300 personnes par jour !»

Dans ce contexte, quelle a pu être l’action d’un ministre de transition ? Ezzedine Beschaouch a notamment été chargé de l’«assainissement» (selon son expression) de son administration. Comprenez : l’instauration d’une gestion transparente de celle-ci et une réorganisation de ses services. Dans le même temps, il a dû demander à certains responsables, impliqués dans les rouages de l’ancien régime, de quitter leurs fonctions. «Ils ne pouvaient pas se contenter de dire qu’ils avaient reçu des ordres d’en haut. Organiser leur départ a été l’aspect le plus douloureux de mon passage ici : certains étaient mes anciens collègues», commente-t-il.

Le ministre de la Culture ne s’est pas contenté de gérer son administration au quotidien. Il est aussi intervenu sur des projets précis. Notamment la relance du festival des Journées cinématographiques de Carthage (la plus importante manifestation du genre en Afrique), la création d’un Centre national de la cinématographie (un peu sur le modèle du CNC français) et la rédaction de statuts juridiques clairs pour les maisons de la culture, bibliothèques publiques et autres établissements de formation théâtrale. Il a également renforcé la lutte contre les trafics d’objets culturels, notamment antiques, en alourdissant les peines contre les délinquants, pour aligner le dispositif sur la législation internationale.

«Faire en sorte que la politique ne s’immisce pas dans la culture»
«En huit mois, on ne pouvait guère aller plus loin", estime le ministre. Dans le même temps, il assure avoir disposé des moyens financiers nécessaires pour mener son action. Il n’en reconnaît pas moins que celle-ci a connu «des freins». Il explique notamment avoir été l’objet de «campagnes de presse d’une faiblesse intellectuelle et d’une débilité morale dont on n’a pas idée».

Aujourd’hui, Ezzedine Beschaouch n’envisage apparemment pas de poursuivre une carrière en politique. Il entend retourner au Cambodge, à ses premières amours, l’archéologie et la recherche. Comme ministre, en quoi a-t-il le sentiment d’avoir contribué, à son niveau, à l’instauration de la démocratie en Tunisie ? «J’ai toujours fait en sorte que la culture soit le fait des créateurs, des producteurs, des animateurs, et non du ministère. Ce dernier n’est pas là pour produire, mais pour aider à produire», répond-il. Et d’ajouter : «La démocratie, c’est l’exercice de la liberté et du respect. A mon niveau, j’ai fait en sorte que la politique ne s’immisce pas dans la culture. Mon seul souhait est que cette action se poursuive après mon départ !».

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé