Un journal dans la transition démocratique

Hmida Ben Romdhane, directeur du journal La Presse (FTV - Laurent Ribadeau Dumas)

Comment passer de la propagande pour le pouvoir à une presse libre ? Réponse avec le directeur du quotidien francophone La Presse, Hmida Ben Romdhane. Ce journal, premier quotidien francophone en Tunisie, appartient à 51 % à l’Etat tunisien, le reste du capital étant réparti entre des intérêts privés. (Publié le 19-10-2011)

Il a été fondé il y a 75 ans pendant la colonisation française. Objectif affiché dans le premier éditorial du 12 mars 1936 : «défendre les intérêts de la France en Tunisie»… Diffusion aujourd'hui: 50.000 à 70.000 exemplaires quotidiens.

Initialement, nous souhaitions assister à une conférence de rédaction de la cinquantaine de journalistes de l’équipe éditoriale. Mais, nous a-t-on expliqué, «celle-ci est très sollicitée par les confrères étrangers. Cela risque de devenir ingérable et nous préférons refuser». Fort aimablement, le directeur du journal (et PDG de sa société éditrice), Hmida Ben Romdhane, journaliste très respecté en Tunisie, a accepté de répondre à nos questions. On accède à son bureau, au troisième étage, par un escalier fort raide…

«Pour moi, aujourd’hui, la situation est un peu originale», explique-t-il. «Il faut voir que pendant 75 ans, ce journal a, de fait, été dirigé par les trois hommes qui ont incarné pendant cette période le pouvoir en Tunisie : de 1936 à 1956, le résident général français ; de 1956 à 1987, le fondateur de la République tunisienne, Habib Bourguiba ; de 1987 au 14 janvier 2011 le dictateur Ben Ali. Autrement dit, jusqu’à cette date, aucune vraie décision n’avait été prise dans le bureau du PDG !» Le 15 janvier 2011, La Presse a donc changé d’époque en s’affranchissant de la tutelle politique.

Hmida Ben Romdhane est devenu directeur une semaine après la fuite du dictateur. Les nouvelles autorités ont choisi «un patron qui n’était pas compromis avec l’ancien régime et qui fasse consensus». Ayant toujours refusé que l’on censure ses articles, le nouveau patron, chef du service politique du quotidien, ne figurait pas dans les petits papiers de l’équipe Ben Ali…

Les premiers mois n’ont pas forcément été faciles pour la nouvelle direction du quotidien dans un pays rendu instable par les bouleversements politiques. D’autant plus qu’il n’y avait pas d’autorité publique forte pour imposer certaines décisions. «Ainsi, certains journalistes se sont opposés à des mesures d’assainissement financier liées aux pertes que nous subissions, notamment à la suite de la baisse de la publicité de janvier à mars», raconte le patron de la presse. Résultat : les choses sont restées en l’état et la situation financière n’a pas été résolue.

En matière de ligne éditoriale, il n’y a pas eu de problème, selon M. Ben Romdhane. Motif : «tout le monde est convaincu de la nécessité d’œuvrer pour une Tunisie démocratique». La ligne éditoriale est donc devenue «la défense de la démocratie, du pluralisme, de l’indépendance de la justice». «Même un journal appartenant à l’Etat doit pouvoir adopter une attitude indépendante : critiquer quand cela s’impose, ne pas tresser de lauriers quand les gouvernants font leur devoir», précise le directeur.

Désormais, La Presse entend «s’ouvrir à toutes les opinions : tout le monde a le droit de s’exprimer». Le patron du quotidien assure n’avoir jamais exercé de censure. Dans le même temps, il a insisté pour que son équipe revienne aux fondamentaux de la profession. Il affirme aussi n’avoir jamais reçu un seul coup de fil de son actionnaire principal. «Je reçois seulement des emails de ministres qui me demandent de passer dans nos colonnes des articles d’opinion», dit-il.

Au début, l’équipe éditoriale a tâtonné. «Il faut voir que ses membres n’avaient jamais vraiment exercé leur métier dans une ambiance de vraie liberté». Un travail compliqué au départ par l’absence d’un cadre juridique précis.

Selon Hmida Ben Romdhane, il n’y a pas eu de règlement de compte avec les journalistes proches de l’ancien régime. « Ceux en âge de prendre leur retraite sont partis. Les autres se sont faits plus discrets», assure-t-il. Motif de cette tolérance : «du temps de Ben Ali, tout le monde savait que les journalistes étaient en fait des fonctionnaires attendant leur salaire. Il fallait glorifier le pouvoir et pratiquer l’adulation et la flagornerie. On ne faisait donc pas de journalisme !»

Et l’avenir dans tout ça ? Il y a d’abord la situation économique de La Presse, qui reste précaire, même si les rentrées publicitaires ont repris. Cette situation ne pourrait-elle pas entraîner des licenciements ? «La question ne s’est jamais posée», répond M. Ben Romdhane. Ce dernier souhaiterait développer un nouveau support papier pour attirer de nouveaux annonceurs et développer le site internet du quotidien.

La Presse ne risque-t-elle pas d’être privatisée ? «Je n’ai pas de réponse à cette question. Ce sera au nouveau pouvoir issu des urnes de trouver une solution», explique le directeur. L’avenir de La Presse reste donc pour l’instant marqué par l’incertitude.

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé