La situation vue par une femme d'affaires

Chafika Chamas, PDG du groupe de consulting CCM (FTV - Laurent Ribadeau Dumas)

Il n'y a pas de démocratie politique sans démocratie économique. Qu'en pensent les milieux d'affaires tunisiens ? Des éléments de réponse avec le témoignage d’une chef d’entreprise, Chafika Chamas, dont la société est implantée à Tunis. (Publié le 19-10-2011)

Chafika Chamas, qui a la double nationalité tunisienne et française, est PDG de CCM Consulting Group, «une des premières sociétés de conseil en management» du pays qui travaille sur le lancement d’une chaîne de télévision satellitaire privée.

Pour Madame Chamas, «il n’y a pas eu véritablement de révolution en Tunisie, mais plutôt un soulèvement populaire certainement encouragé par des puissances occidentales comme les Etats-Unis» et «provoqué par une espèce de ras-le-bol vis-à-vis d’un régime touchant à sa fin". Selon elle, un vrai mouvement révolutionnaire constitue une «rupture avec le passé». Ce fut le cas en France, dans les années 1790, avec la création du tristement célèbre Comité de salut public, précise-t-elle.

Mais peu importe l’interprétation historique. A ses yeux, le renversement de la dictature n’en a pas moins apporté un «sentiment de libération dans le sens le plus profond du terme pour tout le peuple tunisien». Et de poursuivre : «Les gens sont devenus plus décontractés. Chacun s’est mis à adorer son prochain et son pays alors que sous Ben Ali, on était très agressif. La liberté d’expression est une nourriture extraordinaire !»

Chafika Chamas en est persuadée: Ben Ali est tombé dans son propre piège. «C’est lui qui a ouvert la société tunisienne aux nouvelles technologies. Il a permis à de nombreux foyers de s’équiper. Résultat : la jeunesse n’a pas été éduquée avec les verrous de l’ancienne société. Et le système s’est retourné contre lui !»

Mme Chamas a fondé sa société en 1995 après ses études en France et son retour en Tunisie. Son activité de consulting lui a permis de «dresser une cartographie de tous les milieux professionnels». Elle lui a aussi permis de constater «l’imbrication de Ben Ali avec les milieux d’affaires».

Son entreprise a-t-elle été touchée par les appétits de l’ancien régime ? «Non, car je travaille beaucoup avec des experts étrangers», répond-elle. Pour autant, la femme d’affaires était "placée sous surveillance comme une activiste politique dans cette société de paranoïa". On lui a aussi «déconseillé» de mener une action dirigeante dans certaines chambres de commerce...

Sur l'avenue Bourguiba à Tunis, affiche pour une émission spéciale de la chaîne francophone TV5, à l'occasion des élections législatives du 24 octobre 2011.

Sur l'avenue Bourguiba à Tunis, affiche pour une émission spéciale de la chaîne francophone TV5, à l'occasion des élections législatives du 24 octobre 2011. (FTV - Laurent Ribadeau Dumas)

"Un élan irréversible vers davantage de transparence et de liberté"
Aujourd’hui, elle affirme que son activité n’est «pas impactée» par la situation économique du pays, dans la mesure où elle continue à beaucoup travailler avec des fonds internationaux. Cela ne l’empêche pas de constater «l’augmentation des inégalités». Et de critiquer vertement plusieurs décisions du gouvernement, à commencer par une campagne de promotion du tourisme tunisien. Pour elle, «il aurait fallu que les caciques de l’ancien régime soient jugés : l’impunité engendre l’insécurité». Mais elle a bien conscience que «s’ils étaient tous en prison, cela aurait déstabilisé l’économie".

Elle estime par ailleurs que «l’islamisme ne peut pas prendre racine dans la société tunisienne» et que, «malgré les freins, on a réussi à créer un mouvement de désir démocratique dans toutes les couches de la société. Il y a un élan irréversible vers davantage de transparence et de liberté», constate-t-elle.

Au bout du compte, si elle n’est pas «exagérément optimiste» pour son business, cela ne l’empêche pas de préparer le lancement prochain d’une télévision satellitaire privée qui émettra à partir «d’un pays du Golfe ou d’un pays européen».

Le projet, de plusieurs dizaines de millions d’euros, est «porté par des investisseurs tunisiens». VNet offrira un bouquet de chaînes thématiques (divertissement, découverte, jeunesse, musique, news, sport, styles de vie) et interactives. L’ensemble devrait compter une cinquantaine de salariés. «Notre télévision sera nourrie par des valeurs positives et de transparence", déclare-t-elle sans plus de précision. "Il s’agira de faire autrement que ce qui se fait en Tunisie. Ce sera un Canal + décalé et positif», affirme-t-elle encore.

A l’écouter, on se dit que finalement, elle n’est pas non plus «exagérément»... pessimiste !

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé