Au collège, Patrice avait choisi son métier, il voulait être écrivain. 35 ans plus tard, il est ouvrier professionnel de qualité à l’usine d’Aulnay. Mais cette passion des mots ne l’a jamais quitté. En 1995, c’est un peu par hasard qu’il est entré à PSA, placé par une agence d’intérim, après avoir enchaîné pendant plus de dix ans tous les petits boulots sans rechigner.
Patrice Zahn est un militant, un vrai, surtout un homme discret. Ils sont beaucoup à l’usine à n’avoir jamais entendu le son de sa voix : « Je ne suis pas un orateur, je préfère le dialogue, le tête à tête, j’aime expliquer et convaincre », confie-t-il aisément. Pourtant c’est un incorrigible bavard, nous pouvons en témoigner. Gourmand de mots, jamais un plus haut que l’autre, mais toujours le juste. Il est vrai que pour écrire des Haikus (bref poème d’origine japonaise de trois vers de cinq syllabes), il a dû apprendre à peser le poids de chaque mot. Patrice peut vous parler pendant des heures en vous laissant l’impression qu’il aurait encore des tas de choses à vous dire.
Peu après son entrée à Aulnay, il a pris sa carte à la CGT, évidemment. Il faut dire qu’il a trois passions dans la vie : la poésie, la botanique et la révolution. A 48 ans il rêve toujours d’un monde meilleur. Un monde fraternel dans lequel on se partagerait le travail, on travaillerait moins et donc on aurait du temps pour s’adonner à la littérature, à la poésie, aux arts : « A l’usine je milite pour que mes copains lisent, je les engueule parfois, je leur dis, lisez ce livre c’est vachement bien. » Ce n’est pas son premier conflit depuis que Patrice Zahn est élu du CE, il a mené d'autres combats « mais celui-là est particulier, c’est notre peau qui est en jeu, et notre boulot c’est notre peau ». Autant ouvrier que militant : « Je ne me dissocie pas ». L’ouvrier est taraudé par l'incertitude de son avenir et le militant par l’obligation de gagner tout ce qui sera possible. Résultat, les journées de Patrice sont longues et ses nuits courtes sans parler des insomnies.
Aulnay fermera ses portes, plus grand monde n’en doute. Après c’est l’inconnu, il faudra changer de vie. Patrice, lui veut croire qu'il existe encore une toute petite chance : « Pour empêcher la fermeture, il faudra s'y mettre tous, mais c'est vrai que dans deux ou trois mois quand le PSE pourra légalement s’appliquer, tout peut arriver si on ne se bouge pas ». Certains préféreront rester dans le groupe, d’autres toucher de l’argent et recommencer autre chose ailleurs, d'autres encore trouver le moyen de tenir jusqu’à la retraite. Comment croire que personne ne se retrouvera sur le carreau ?
3000 ouvriers, 3000 vies, il y aura forcement de la casse. Patrice redoute ce moment où la famille va commencer à se disperser : « Tout ça va rendre la bagarre encore plus compliquée. » Il n’est pas homme à se raconter des histoires : « Ce serait un mensonge de dire que tout le monde a envie de se battre mais il y a de plus en plus de gens qui ont envie de se battre quand même et j’espère qu’il y en aura de plus en plus ». Ce week-end, Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif a appelé les syndicats pour leur annoncer la tenue d’une réunion tripartite le 25 octobre (assis autour de la même table le patron de PSA , un représentant du gouvernement et un délégué par syndicat). Pas d’emballement recommande Patrice : « Ce n’est que le début d’une histoire qui va durer au moins un an, le gouvernement doit donner l’impression d’agir. »
S’il avait plus de temps, notre ouvrier poète aimerait tellement terminer son roman,un polar, entamé il y a deux ans. La poésie c’est plus facile, on peut écrire un peu partout même en réunion de CE, pour s’évader un peu. Mais le temps manque, levé à 5 heures, après huit heures passées à l’usine, Patrice enchaîne son deuxième métier, celui de délégué syndical.
Ce soir, nous le suivons, il est invité dans une radio associative pour raconter, une fois encore, ce qui se passe à l’usine PSA d’Aulnay.