C'était en 1973, il y a 40 ans. L'usine Citroën d'Aulnay ouvrait ses portes et Inaki, du haut de ses 17 ans, venait de décrocher son premier vrai contrat de travail. L'histoire d'Inaki, le "professionnel", se confond avec celle de l'usine d'Aulnay.
Son rêve c'était l'électronique de précision mais la vie et une conseillère d'orientation en ont décidé autrement. Inaki est rentrée à Aulnay avec un BEP d’électromécanicien, il y a passé toute sa vie professionnelle.
Le site historique de Javel à Paris, fondé par André Citroën pour produire des obus lors de la guerre de 14 était devenu trop vétuste. Du quai de Javel étaient sorties toutes les Citroën qui avaient marquée l'histoire automobile de la Traction à la DS en passant par la 2CV. Mais il fallait inventer un site de production plus performant. Ainsi en 1973, Citroën choisit d'implanter sa nouvelle usine en Seine-Saint-Denis. Sur un terrain de la ville d'Aulnay-sous-Bois, une usine est donc sortie de terre, déjà vantée comme la plus moderne d'Europe : 168,5 hectares dont 44 de bâtiments, 28 hectares d'espaces verts, 17 kms de voies ferrées, 21 kms de routes intérieures, baptisée "Aulnay la verte".
Inaki faisait ses premières armes à l'usine et les dernières DS, pré montées à Javel, sortaient des chaînes flambant neuves d'Aulnay-sous-Bois. 40 années plus tard il s'apprête à quitter le site d'Aulnay qui baissera définitivement sa grille en 2014. Il partira avec tous les autres mais lui ce sera pour la retraite : " Pour moi tout va bien, mais je ne sais pas comment j'aurais fait si c'était arrivé il y a cinq ans".
Inaki a été embauché pour démarrer les premières machines. Tous les bâtiments n'étaient pas construits, il a vu l'usine se monter petit à petit. Puis vient le choc pétrolier et Citroën doit réduire ses ambitions. En effet, en 1974, après laDS, alors que l'usine produit la CX, c'est la crise de l'énergie et le marché automobile est en difficulté. En 1976, l'usine d'Aulnay-sous-Bois intègre le groupe PSA Peugeot Citroën après le rachat de la marque Citroën à Michelin par Peugeot.
Avec Peugeot les mentalités bougent un peu, on s'ouvre vers l'extérieur, on s'intéresse à ce qui se passe chez les autres constructeurs : "Chez Citroën on nous disait qu'on faisait le meilleur produit du monde, si l'acheteur n'en voulait pas c'est qu'il n'avait rien compris" se souvient Inaki. "Si on n'avait pas un véhicule de la marque Citroën on été mal vu". Lui, préférait les voitures anglaises et allemandes.
Inaki, l'électromécanicien, travaille à acheminer les fluides : haute tension, gaz, eau, climatisation dans l'usine. Il fait les trois huit, loin des chaînes de montage. Comme partout, à l'époque, le chef avait toujours raison, "c'était un peu dictatorial". Lorsqu'éclate en 1982 la première grève, Inaki ne suit pas : " À l'époque, je n'étais pas réveillé. Comme professionnel en maintenance on n'était pas traité de la même manière. Les ouvriers, eux, étaient traités comme de la basse main d'oeuvre ils ont gagné un peu après la grève même si cela a continué après". Alors que l'usine était bloquée pendant quarante jours, il reste à l'intérieur avec pour seule exigence de ne pas participer aux équipes de gros bras qui surveillaient les grévistes ni de remplacer un ouvrier en grève.
En 2008, lorsque la direction décide de supprimer une ligne de montage et réduit de moitié la production. Il n'a pas vu le coup venir, Inaki. " On nous a dit que c'est un compactage pour réduire l'usine dans ses murs juste pour une question de coût, moi à l'époque j'ai tout gobé, ça me paraissait correspondre à une certaine logique." Le déclin d'Aulnay était enclenché, il ne le comprendra que plus tard. En 2011 lorsque la CGT dévoile un document secret qui révèle que PSA a planifié la fermeture de l'usine en 2014.
Depuis le 16 janvier, Inaki est en grève. Les heures sont longues à l'usine à ne rien faire. Alors ils parlent, les uns avec les autres. Grévistes ou pas. Ils se racontent leur vie à Aulnay. Inaki a attendu l'âge de 55 ans pour se syndiquer. C'est une blessure dans sa vie d'ouvrier, sa mise à l'écart dans une "voie de garage", comme il dit, qui lui a fait passer le pas. "Il y a un peu plus de deux ans lorsque l'équipe de nuit a été supprimée on m'a viré de mon poste et mis au placard" raconte Inaki. Cette décision que sa hiérarchie n'a jamais justifiée, l'a blessé et mis en colère : “Je me suis rendu compte que tout seul je ne pouvais rien". Jusque là, il était plutôt le gars qui ne se laissait pas faire : "Mais là, je me suis rebiffé et la syndicalisation a suivi". Il s'est rapproché de la CGT et depuis l'annonce de la fermeture, Inaki est de toutes les actions. Appareil photos en bandoulière. Il photographie toute la journée. Des centaines de clichés qu'il faudra qu'il prenne le temps de trier.
Son travail, c'était son gagne pain, rien de plus : "Je n'ai jamais pris de plaisir " confie-t-il "mais tout de même à l'époque les chefs savaient, au moins, faire ce qu'ils nous demandaient" regrette Inaki. "On s'engueulait fort mais le lendemain on buvait l'apéro ensemble, maintenant tout le monde se tutoie, s'appelle par son prénom, des grandes tapes dans le dos mais on ne sait plus à quoi s'en tenir. C'est pas que c'était mieux avant mais au moins c'était plus direct" explique-t-il.
Dans l'usine toujours à l'arrêt, seulement quelques dizaines de voitures produites par jour. Inaki nous raconte. Extrait de cet entretien.