Qui a dit que la BD était un genre poussiéreux qui ne se remettait pas en question ? Depuis quelques mois, plusieurs auteurs ont décidé de boxer dans la catégorie des séries télé en sortant des albums aux intrigues fouillées et ambitieuses dans des délais record. On vous a déjà parlé de NoBody (éd. Soleil), qui a conclu sa première saison avec quatre volumes haletants, on vous présente No War, d'Anthony Pastor, dont trois volumes d'une centaine de pages sont disponibles en l'espace de neuf mois.
Ça parle de quoi ?
On l'avoue, on a tout de suite accroché à No War, mais on a renoncé à le chroniquer sous forme de "BD de la semaine" dès son volume un. Vu l'ambition du projet, baser son jugement seulement sur le premier tome était comme crier au génie pour une série après n'avoir vu que le premier épisode. L'expérience montre que les accidents arrivent (coucou Heroes !), et c'est donc une fois le tome 3 paru (et dévoré) qu'on vous dépeint les tribulations de Run, un ado né de père vulko (descendant des vikings) et de mère kivik (population autochtone) dans le très divisé Vukland.
Les Vulko habitent la grande île et sont aux commandes du petit archipel qu'ils n'hésitent pas à vendre au plus offrant (Chinois et Américains sont sur les rangs). Vu qu'ils viennent d'élire un président d'extrême-droite qui rêve de chars américains, les choses ne vont pas aller en s'améliorant. Les Kiviks, arc-boutés sur leurs traditions refusent l'intrusion de trop de modernité et de projets pharaoniques sur leur île, comme ce projet de barrage qui risque de défigurer le paysage. Les opposants campent dans une sorte de ZAD pour faire capoter le projet. Et lors de sa ronde, Oruk, un policier kivik découvre un des ingénieurs travaillant sur le projet assassiné d'une balle de fusil à lunette. Le policier n'était pas seul, Run, son neveu, l'accompagnait. Lui tombe sur un thermos contenant une mystérieuse pierre chaude, une kafikadik, qu'il ne faut surtout pas déplacer, selon la tradition. Qu'importe ces vieilles superstitions ! Lui la fourre dans sa poche. Il ne le sait pas encore, mais ce geste va changer sa vie.
Pourquoi on adore ?
Vous avez lu tout ce qui précède ? Dites-vous que ce n'est qu'un résumé succinct des premières pages du tome 1. Anthony Pastor nous propose une histoire extrêmement dense, avec des arcs narratifs distincts selon les personnages, qui se croisent et s'entrecroisent avec une grande fluidité. Sur le plan de la narration, il tient son lecteur en haleine en modernisant le sacro-saint suspense de bas de page inventé à l'époque de Tintin (mais si, souvenez-vous, quand Rastapopoulos tombait d'une falaise systématiquement dans la dernière case de la page, et qu'il fallait la tourner de toute urgence pour savoir la suite), avec des évènements majeurs qui relancent l'intérêt toutes les 10-12 pages.
S'il a épuré son (magnifique) dessin de ses précédents albums, Le Sentier des Reines et La Vallée du diable (tout aussi recommandables, mais c'est une autre expérience de lecture) notamment au niveau des décors, rythme de publication oblige, on retrouve la patte de celui qui sait produire un suspense poisseux entre une vieille station-service et un morceau de désert comme dans Las Rosas.
C'est pour vous si...
... Vous aimez les séries télé, si vous passez trop de temps devant les séries télé, si vous essayez de trouver un dérivatif aux séries télé et aux écrans, et si vous aimez les histoires ambitieuses, chorales, bien racontées et finement dessinées.
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No War par Anthony Pastor, trois tomes d'une centaine de pages parus, éd. Casterman, 15 euros environ pièce. Il existe un "starter pack" pour les retardataires, avec les deux premiers volumes à 15 euros.