La BD de la semaine : "Duel", un album à double tranchant

Du réchauffé, diront les blasés. La nouvelle de Joseph Conrad (une nouvelle XXL de 150 pages tout de même), adaptée au cinéma par un débutant nommé Ridley Scott à la fin des années 1970, devient une BD sous la plume de Renaud Farace. Que les blasés (et les autres) ne passent surtout pas leur chemin. Au lieu d'une transposition fidèle, Renaud Farace sublime l'histoire de Conrad et ringardise - un peu - le film avec son album Duel.

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De quoi ça parle ?

Le bouillant lieutenant de l'Empire Gabriel Féraud est querelleur, irritable, porté sur la boisson et les jurons, et se réveille rarement le matin sans avoir un duel sur le feu. Excédée, sa hiérarchie envoie le lieutenant Armand d'Hubert le ramener à la raison. Inévitablement, leur rencontre se termine sur le pré, aux petites heures du jour, et s'arrête au premier sang. Féraud transperce le bras de D'Hubert, mais s'inflige une éraflure au cou pour aboutir à un match nul.

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S'ensuivront vingt ans de rivalité, vingt ans de duels, y compris dans les steppes hostiles de la région de la Bérézina. Les lieux changent, les armes changent, la narration change - l'un des combats est conté en alexandrins - mais la rivalité demeure. Au point que chacun doive rattraper l'avancement de l'autre : il est inconcevable de défier en combat singulier plus galonné que soi. Quel est l'objet de leur querelle déjà ? Une sombre histoire d'orgueil blessé dans un salon d'une intrigante de Strasbourg...

Pourquoi on adore ?

Renaud Farace a fait de l'escrime quand il était petit. Dans la salle où il s'entraînait trônait un énorme poster du film de Ridley Scott. Ce n'est qu'en rendant le projet à son éditeur qu'il a fait le lien. Là où Conrad s'attardait essentiellement sur la personnalité de D'Hubert, Renaud Farace choisit de développer les deux personnages en parallèle, parallélisme qui atteint son paroxysme lors des scènes de combat singulier, incroyablement réussies graphiquement. D'où la perte du "le" dans le titre de la BD par rapport à la nouvelle : Farace insiste sur la dualité des personnages, épée à la main ou pas.

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Pour ne rien gâcher, les dialogues sont à la hauteur de la flamboyance du récit. "Après 182 pages et de multiples réécritures, j'avoue avoir un peu oublié ce qui était présent chez Conrad et ce que j'ai totalement inventé", confie l'auteur. Dans la construction comme dans le propos, on ne peut s'empêcher de penser au formidable La Vierge et la Putain de Nicolas Juncker, sur la rivalité entre Elizabeth Ire et Mary Stuart, ou aux meilleures pages d'Alexandre Dumas et de ses Trois mousquetaires. Et dire que ce n'est que le premier album de Renaud Farace, qui a 40 ans passés - et qui s'est amusé à glisser de discrets aliens dans les décors, histoire que Ridley Scott ait aussi son petit hommage ! On en redemande.

C'est pour vous si…

Vous faites partie de ceux qui disent que la BD, c'est cher et ça se lit vite. Parce qu'il est impossible de lire cet album en moins d'une heure et demie...

 

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Duel de Renaud Farace, éd. Casterman, 192 p., environ 22 euros.