La BD de la semaine : "El Comandante Yankee", l'incroyable histoire de l'Américain qui a aidé Castro à conquérir Cuba

Arrêtez-nous si on se trompe, mais en général, Cuba n'apparaît dans le programme d'histoire-géo qu'en 1957, quand le professeur explique d'un ton lapidaire que Fidel Castro et quelques révolutionnaires barbus ont chassé le vilain Fulgencio Batista, pantin de la mafia et du gouvernement américain cette même année. L'affaire est réglée en trois coups de cuillère à pot, et en voiture Simone jusqu'au débarquement de la Baie des cochons, trois ans plus tard, la crise des missiles de 1962 et, si le prof est sensible aux théories à la Oliver Stone dans JFK, à l'assassinat de Kennedy l'année suivante. Rideau sur l'histoire cubaine. Dommage. Car la réalité est un peu plus complexe, et l'auteur kosovar Gani Jakupi nous la détaille dans El Commandante Yankee par le biais de l'histoire de Morgan.

Ça parle de quoi ?

"Sacrés Yankees ! Dès que vous reniflez la bagarre, faut que vous y alliez la tête la première ! Si tu as vraiment envie de te faire trouer la peau, je peux te trouver une destination plus agréable..." Malgré les conseils d'un de ses amis de La Havane, la décision de William Morgan est irrévocable. Direction la Sierra Maestra, le repaire des rebelles qui ont suivi Fidel Castro dans sa première tentative de coup d'Etat en 1956. 900 km à pied pour récolter la méfiance des dissidents cubains, pas du tout aussi unis qu'on le croit avec le recul.

Car Castro agrège sur son nom une multitude de groupes factieux, qui ne sont que rarement d'accord sur la stratégie pour conquérir le pouvoir, ne parlons même pas de la façon de l'exercer ensuite. Après une phase de transition où il est cantonné aux tâches subalternes - forcément, un Américain qui s'engage chez les pouilleux par désaccord politique avec son gouvernement, ça surprend - Morgan gagne petit à petit la confiance des Barbudos. Jusqu'à devenir incontournable pour bouter Batista et ses sbires hors de l'île.

Pourquoi on adore

Attention, cet ouvrage touffu de 200 pages est tout sauf une lecture de plage. Un minimum de concentration est nécessaire pour apprécier pleinement ce travail de plus de dix ans d'un auteur qui a fait de nombreux séjours sur place et rencontré beaucoup d'acteurs de ce pan de la grande Histoire. Il en résulte une BD très dense, qui ne fait pas dans la simplification quand il s'agit de rendre les complications de la politique interne à la guérilla - on y découvre ainsi un Che Guevara très éloigné de l'image glamour que cherchent à véhiculer les vendeurs de t-shirts.

Cela reste un album très digeste, qui marie petite et grande histoire sur fond de soleil cubain joliment rendu par la colorisation très vive de Gani Jakupi. L'auteur n'est pas à son coup d'essai sur les histoires qui changent le monde : on lui devait déjà une autre histoire de révolutionnaire, Les Amants de Sylvia consacré à Trotski. Ceux qui voudront en savoir plus à l'issue des 200 pages pourront se référer à un livre - sans images - que l'auteur a écrit pour compléter l'album, Enquête sur El Comandante Yankee, aux éditions de la Table ronde.

C'est pour vous si...

... vous aimez la fiction historique solidement documentée, avec un dossier explicatif en fin d'album et une bibliographie XXL dans une langue étrangère. C'est pour vous aussi si vous avez l'âme révolutionnaire, même sur canapé. Et si vous aimez sentir dans votre nuque le souffle de l'aventure.

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El Comandante Yankee par Gani Jakupi, coll. Aire Libre aux éd. Dupuis, 202 p., 32 euros (il existe une version luxe à tirage limité à 49 euros).