C'est LA grosse sortie BD du premier semestre, et nombreux étaient les amateurs qui passaient une tête chez leur dealer de neuvième art en ce pont de l'Ascension juste pour se procurer le nouvel opus de Blake et Mortimer. Les aventures du physicien barbu et du maître du contre-espionnage à la fine moustache blonde demeurent une des locomotives de la BD franco-belge. Petit évènement, l'équipe d'auteurs, constituée autour du dessinateur François Schuiten, avait obtenu de pouvoir passer outre le sacro-saint cahier des charges de la série (les années 50-60, un type de dessin proche de celui de Jacobs...) pour proposer une réelle vision d'auteur sur la série, comme on l'a vu sur des Lucky Luke (avec les albums de Matthieu Bonhomme et de Guillaume Bouzard) et Valérian (avec les tentatives de Manu Larcenet et de Matthieu Lauffray dans des registres très différents).
Verdict ? Au moment de refermer la dernière page, un sérieux goût de trop peu risque de vous envahir, malgré les copieuses 92 pages que compte l'album. Et votre appréciation dépendra grandement de votre rapport à l'œuvre de Schuiten plus que de la série Blake et Mortimer. Car c'est un spin-off non officiel des Cités obscures (formidable série récemment rééditée sous forme d'intégrales chez Casterman) que nous propose l'équipe des auteurs belges.
Mortimer (beaucoup) et Blake (très peu) sont plaqués dans un Bruxelles post-apocalyptique, abandonnée après la découverte de mystérieux rayonnements émanant d'une pyramide camouflée sous l'immense palais de justice, qui surplombe la ville depuis la colline des Marolles. Un bâtiment démesuré qui fascine aussi bien Schuiten, dont la passion pour l'architecture n'est plus à démontrer, que Jacobs, qui projetait d'y emmener ses héros selon des notes retrouvées dans ses derniers écrits. La capitale belge est confinée, un peu comme Tchernobyl, après un accident qui a libéré l'énergie contenue dans la pyramide et qui a provoqué un black-out géant en Europe. Mortimer doit y retourner pour empêcher que les militaires ne règlent le problème à leur manière, avec des missiles.
Si on reste bouche bée devant les cases magnifiques (procurez-vous la splendide version à l'italienne avec des cases agrandies), on reste sur sa faim au niveau du scénario, qui a recours à l'ellipse plus que de raison. Le lecteur cartésien (mais pas trop) tiquera devant plusieurs raccords scénaristiques poussifs et des deus ex machina un peu faciles. Comme si l'histoire n'était pas ce qui intéressait le plus les auteurs, mais la superbe balade dans un Bruxelles rendu à la vie sauvage. Les auteurs proposent aussi en creux une relecture intéressante du duo de héros, avec un Francis Blake vieilli et vivant hors de l'appartement du 99 bis Park Lane, que la vie a éloigné d'un Mortimer désormais à la retraite. Un album crépusculaire qui ne parvient pas totalement à renouveler une série engoncée dans ses propres codes. Peut-être que le deuxième tome du prometteur La Vallée des Immortels y parviendra davantage.
Le Dernier pharaon par François Schuiten, Thomas Gunzig, Jaco Van Dormael et Laurent Durieux, éditions Blake Mortimer, 92 p., 18 euros environ pour la version classique et 30 euros pour la version à l'italienne limitée à 8 000 exemplaires.