La BD de la semaine : "Retour à Killybegs", un roman formidable, et maintenant un album remarquable

Réussir une adaptation, c'est bien. Réussir deux adaptations de deux livres du même auteur qui traitent du même sujet sans se répéter, c'est un tour de force. C'est ce que vient de réussir Pierre Alary, qui signe Retour à Killybegs, le côté face de l'histoire développée dans Mon traître, tous deux adaptés des (formidables) romans de l'écrivain français Sorj Chalandon.

Ça parle de quoi ?

Tyrone Meehan est revenu. Sur sa chaise, dans son pub, dans son village de Killybegs. "J'avais décidé. Chaque soir, je passerais porte du Mullins. Boire la bière de mon père, occuper sa table, adossé au mur ocre, entre les fléchettes et les toilettes. Ma femme m'a supplié : 'quelqu'un va te reconnaître, reste au cottage. (...) Ils viendront.' Bien sûr, ils viendront." Ce chef de l'IRA, héros de la lutte pour l'indépendance, a bluffé tout son monde en collaborant avec l'ennemi pendant des décennies. Et histoire de mieux diviser l'adversaire pendant le processus de paix qui s'amorce, les Britanniques l'ont balancé. Gratuitement. Précieux en temps de guerre, Tyrone Meehan n'était plus très utile au moment de conclure la paix. C'est ce cheminement d'un demi-siècle, fait de choix et de contraintes, qu'il rumine sur sa table de pub. En attendant que ses anciens amis viennent le chercher pour une petite explication.

Pourquoi on adore

Si le premier volume racontait la rencontre entre Tyrone et Antoine, jeune idéaliste désireux d'aider l'IRA à obtenir son indépendance, faute de pouvoir faire de même avec le Vietman ou la Grenade, le second nous replonge dans un siècle de lutte irlandaise avec la famille Meehan. Le lecteur peu au fait de cette guerre à bas bruit découvrira l'horreur des prisons britanniques, la lutte des détenus qui sont restés nus pendant trois ans, en maculant leur cellule de leurs excréments, pour ne prendre que l'anecdote la plus frappante. Un changement de ton qui se sent dans le traitement de Pierre Alary, plus sec, plus sombre, parfois plus lâché.

Le tour de force de l'auteur - qui n'a conservé que la moelle des dialogues du roman - est de rendre ce personnage, assez antipathique dans le tome 1, touchant, sans tomber dans le manichéisme qui consisterait à charger les méchants protestants/Britanniques/geôliers. Le découpage en chapitres brefs, qui est souvent un artifice pour créer un faux suspense et un rythme artificiel, est ici parfaitement adapté pour les allers-retours entre les souvenirs de Tyrone et son douloureux présent.

C'est pour vous si...

... vous aimez les histoires bien racontées, plus compliquées que l'impression qu'on en a au premier coup d'œil, si vous vous intéressez aux tréfonds de l'âme humaine, si le cliché de la "verte Eirin" vous fatigue, si vous aimez les choix de colorisation tranchés (que des cases monochromes, la couleur donnant tout de suite le ton de la séquence), si vous avez lu le roman, si vous n'avez pas lu le roman et si vous aimez vous asseoir à la même table, toujours dans le même bar.

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Retour à Killybegs de Pierre Alary, d'après le roman de Sorj Chalandon, éd. Rue de Sèvres, 168 p., 20 euros. L'album s'apprécie évidemment beaucoup mieux si vous avez en tête Mon traître (sorti l'an passé), du même auteur, chez le même éditeur et au même prix.