"Jusqu'où iriez-vous pour être le meilleur ?" s'interroge la quatrième de couverture. C'est toute la question posée par Tonino Benacquista et Nicolas Barral qui signent Le Guide mondial des records. Juste en dessous, l'image d'un podium, sur la première marche, les pieds d'un homme qui a tué le second et la troisième, dont les corps gisent au sol.
De quoi ça parle ?
De l'histoire de Paul Baron, inspecteur désabusé dudit guide, le chronomètre ou le mètre ruban vissé à la main pour mesurer le plus gros chou-fleur du monde ou le record du 50 m brasse catégorie plus de 100 ans. "Toute ma vie, j'ai vécu mes rêves à travers les exploits des autres", lâche le héros au cours de l'album. Son destin bascule quand un des aspirants recordmen recalé tente de battre le record du plus grand nombre de meurtres en une année..
Comme pour les deux précédentes collaborations entre les deux auteurs (les deux Dieu n'a pas réponse à tout et Les Cobayes), les auteurs jouent du décalage entre une trame classique (la traque d'un serial killer) et le regard qu'ils posent dessus. Leur parti pris (réussi) est de se désintéresser totalement de l'enquête policière mais de suivre en détail les pérégrinations du vérificateur, confronté à l'angoisse de recevoir un nouveau mail lui indiquant où se trouve un énième cadavre entre deux tentatives d'une cantatrice amateur de casser du verre par le seul son de sa voix.
Pourquoi on adore
Sur le papier, ça a le goût d'un polar, l'allure d'un polar : les inspecteurs bougonnant dans leur bureau sans fenêtre d'une mansarde du 36 quai des Orfèvres sont au rendez-vous, le lecteur a sa dose d'hémoglobine... Mais cet album constitue plutôt une satire sociale de notre société de la performance et du quart d'heure de célébrité. En voyant une mamie s'ébrouer dans l'eau de la piscine municipale pour tenter de battre de quelques centièmes un record olympique, on repense forcément aux exploits du cycliste Robert Marchand ou même à cette centenaire néo-zélandaise, lointaine émule d'Usain Bolt, qui a battu le record du 100 m vétérans ce mois-ci.
A son voisin qui apprend à son chien à rattraper des boomerangs en vue d'un record, Paul Baron se fend de la morale de l'histoire : "J'aimerais savoir ce que l'anonymat a d'intolérable. Est-ce si indigne de ne s'illustrer en rien ?Aujourd'hui, le goût de la performance a été remplacé par l'exploit débile. A quoi bon s'emmerder à gravir l'Everest quand on peut avaler huit hot-dogs en trente secondes ?"
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Le Guide mondial des records par Nicolas Barral et Tonino Benacquista, éd. Dargaud, 64 p., environ 15 euros.