La BD de la semaine : "Les Porteurs d'eau", l'album qui se pique de parler des losers du dopage

La couverture de cet album ne portera jamais le sticker "BD officielle du Tour de France". Et pour cause. C'est le vélo côté sordide dans lequel Fred Duval et Nicolas Sure nous plongent. Les "porteurs d'eau", ce sont les équipiers qui se sacrifient pour aller chercher les bidons pour leur leader, les gregario comme on dit dans le jargon cycliste, dont on ne parle jamais, et qui ne gagnent (presque) jamais. Une BD solidement documentée et avec des dialogues aussi percutants qu'une attaque de Chris Froome sur les pentes à 10% du Tourmalet.

Ça parle de quoi ?

Le grand dadais à droite sur la couverture, c'est Jérôme Pignon. Fils d'un ancien bon coureur du peloton, il sait qu'il n'a pas le potentiel pour percer, à moins d'avoir les produits qu'il faut pour améliorer sa "giclette" et taper dans l'œil d'un directeur sportif. C'est lui qui amène le gros du fric avec l'héritage de son père. Le reste, c'est Florian Cornu qui régale. L'ahuri à gauche sur la couv' de l'album rêve d'argent facile et de refaire sa vie à l'étranger. Même si la première chose qu'il veut faire avec sa part du gâteau, c'est se faire recoller les oreilles.

La rencontre avec les mafieux belgo-russes (il y a aussi des Ouzbeks et des Français dans le tas, le tout chapeauté de loin par un "Monsieur Armand" propre sur lui, mais passons) est prévue dans une friche industrielle, à la frontière belge, près de Maubeuge. Sept heures passées de quelques minutes, tout va bien. Les affreux ont lâché les produits, Jérôme sort l'enveloppe avec les biftons de sa veste... Et puis, un cri. "Douane française, mains sur la tête !" Le début d'une cavale en quatre étapes qui s'achèvera sur les pentes du Mont-Ventoux, la Mecque des cyclistes.

Pourquoi on adore

Ce polar mettant en scène deux paumés avec un butin trop gros pour eux fait immanquablement penser à Ma Révérence, pépite signée Rodguen et Lupano en 2013, le côté vélo en plus. Les Porteurs d'eau partage la même maquette de couverture, et le côté road-movie désabusé, émaillé de dialogues mémorables. Comme quand Florian et Jérôme se retrouvent avec le Docteur Mabuse du peloton sur leur banquette arrière, reconverti dans les stations services : "Qu'est-ce que tu veux, dans les reconversions proposées, c'était le plus proche de ce que je sais faire : fourguer de l'énergie au client au moyen de tuyaux...".

Les quatre étapes de ce Tour de France du dopage et de la lose offrent aussi un regard cru sur l'hypocrisie qui règne encore dans ce sport (même si la situation n'a plus rien à voir avec les années EPO). Pour percer, les jeunes sont contraints de se "charger" avec la bénédiction tacite des directeurs de club, quand ce n'est pas un entraîneur qui fait jouer son réseau.

C'est pour vous...

Même si vous avez passé vos après-midi de juillet à écouter les commentaires de Patrick Chêne couverts par les ronflements de papy et mamie, dans un salon aux volets clos pour se protéger du soleil écrasant, vous allez apprécier cet album. Les amateurs de polars, de dialogues cinglants et de beaux paysages y trouveront leur compte, même si aucune case ne montre une abbaye cistercienne du XIIe siècle survolée par un hélicoptère.

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Les Porteurs d'eau par Fred Duval et Nicolas Sure, coll. Mirages aux éd. Delcourt, 128 p., environ 18 euros.