"Ça serait fantastique de pouvoir faire une quarantaine de tomes" : entretien avec Tony Valente, l'auteur du manga "Radiant"

Avec son manga Radiant, dont le neuvième tome sort en France le 25 mai, Tony Valente a conquis les lecteurs du monde entier. Et ce sont les Japonais, pourtant maîtres du genre, qui sont les premiers fans étrangers du Français. Alors que Radiant est en cours d’adaptation en série animée, Pop Up' s'est entretenu avec ce dessinateur bourreau de travail, persuadé que son récent succès n’est qu’un énorme coup de bol.

Créer un manga, c’était un rêve de gosse ?

Oui. Je ne m’en rendais pas compte parce qu’a priori, j’étais vraiment intéressé par tous les types d’histoires, les histoires dessinées, les dessins animés, les mangas, les bandes dessinées, et même les romans plus tard, et clairement, quand je me suis mis à faire du manga, je me suis rendu compte que c’était ça qui m’avait motivé à engranger pleins d’histoires. Donc oui, c’était un gros kif depuis tout petit. Et je m’y suis mis tardivement finalement, parce que ça fait quinze ans que je fais de la BD, mais je ne fais du manga que depuis cinq ans.

C’était enfoui au fond de vous ?

Oui, c’est ça. Il a fallu le déterrer au fur et à mesure pour que je me dise, c’est ça que je veux faire.

Vous lisiez quoi quand vous étiez gamin ?

J’ai commencé par regarder des dessins animés avec le Club Dorothée et c’était Dragon Ball et Ranma 1/2 qui étaient mes gros héros. Et après, c’est ce que j’ai lu d’abord en manga, surtout Dragon Ball.

Dragon Ball, c’était votre première grosse claque ?

Oui, et encore maintenant, ça reste la base, ce qui m’a fait faire ce boulot. Plus tard, ce qui m’a ramené aux mangas, c’est quand j’ai commencé à faire de la BD, donc il y a une quinzaine d’années. J’avais un peu laissé le manga de côté, je regardais de loin les titres et c’est en découvrant Naruto, alors que j’étais en train de commencer ma carrière en BD et que je faisais de la BD européenne, que je me suis dit : "Merde, en fait c’était ça qu’il fallait que je fasse". Et un an après, j’ai découvert One Piece, et là, plus grosse claque encore que Dragon Ball et Naruto, je me suis dit qu'un jour, il faudrait que je fasse ça. Donc, dans les trucs qui ont été vraiment importants, qui m’ont amené à faire du manga, ça reste aujourd’hui encore Dragon Ball, Naruto et One Piece, la sainte trinité des shonen (rires).

Adolescent, vous lisiez aussi de la BD franco-belge ?

Oui, toujours, même encore aujourd’hui. Et en BD, c’était Lanfeust de Troy qui est, même encore aujourd’hui comme Dragon Ball, le truc que je préfère. Et Astérix aussi, qui m’a suivi depuis tout petit. Quand je me replonge dans les premiers Astérix (en ce moment, je les fais découvrir à ma fille de 6 ans), je me rends compte à quel point ça m’a amené à faire de la BD.  

Vous avez grandi à Toulouse. Comment s’est passée votre scolarité ? Vous étiez plutôt bon élève ou le cancre qui gribouille sur tous ses cahiers près du radiateur ?

Les deux, en fait. J’étais le gars qui dessine au fond de la salle mais qui n’est pas mauvais. En primaire, j’étais toujours dans les premiers de la classe même si je n'écoutais pas forcément. En fait, j’avais besoin de dessiner car j’ai un problème de concentration dont je me suis rendu compte adulte, et dessiner à dû m’aider à me concentrer. Ça ne marche pas forcément avec tout le monde mais pour moi, j’ai vraiment l’impression que ça a été le cas. Je dessinais, du coup mon attention était focalisée sur ce qui se disait, et ça rentrait. En grandissant, quand j’ai dû arrêter avec des profs qui étaient plus tatillons, je partais dans ma tête, donc je n’écoutais plus. J’étais focalisé sur le tableau mais ffffuit, tout partait. J’ai toujours une partie de ma tête qui part sur mes histoires, et ça depuis que je suis né finalement, du moins depuis que j’ai été exposé à des histoires. Au lycée, ça a été plus difficile parce que j’étais obligé d’écouter, mais sinon ça s’est assez bien passé.

Vous avez passé le bac ?

J’ai eu le bac et j’ai arrêté mes études. C'était un bac littéraire pour avoir l’option "arts plastiques", parce qu’il n’y avait pas d’option "arts plastiques" avec autant d’heures dans les autres filières. C’était ce qui me correspondait le mieux, même si à l’époque, je ne m’en rendais pas compte car je n’ai jamais été un gros lecteur avant de passer le bac.

On dit quoi à ses parents quand on veut devenir dessinateur de BD ?

Je dessinais très sérieusement depuis tout petit. Et je me suis dit quand j’avais 11 ou 12 ans et que j’ai découvert Lanfeust que j’allais faire de la BD. C’était ce métier que je voulais faire et pas autre chose, pas du dessin animé, pas juste illustrateur ou quoi, je voulais vraiment raconter des histoires en bandes dessinées. A partir de là, j’étais un amateur qui tendait vers le professionnalisme dans les années qui viennent, dès 11 ans, quoi ! Je me disais que ça allait arriver, quelque soit le temps que ça prendrait. Et le premier projet que j’ai signé, je l’avais commencé à 17 ans et j’ai attendu d’être majeur pour l’envoyer à des éditeurs. Finalement, j'ai signé avec Delcourt.

Donc depuis tout petit, mes parents avaient en tête que je voulais faire ce métier, donc ça n’a posé aucun problème. Ils étaient encourageants. Ils faisaient des boulots qui sont les plus bas boulots avec lesquels on peut gagner le plus bas des salaires. Ma mère est manutentionnaire, mon père travaille maintenant dans une entreprise où il vend du grillage, mais il était cordonnier à l’époque. Ils gagnaient moins que le salaire minimum et du coup, on avait le minimum d’argent sans être à la rue. Donc, de toutes les façons, le bas du bas on l’avait et ce n’était pas grave de retomber dedans si jamais je ne pouvais pas faire ce que je voulais. Leur démarche, c’était de dire "essaie de faire du dessin, c’est toujours mieux que ce qu’on fait, et si ça ne marche pas, au pire, tu seras comme nous".

C’était d’autant plus important qu’ils me poussent à faire ça que les professeurs tendaient à l’inverse. Ils me disaient "fais d’abord un truc, et après tu feras du dessin". Et ma mère disait "non, non, non, tu feras du dessin, si à côté tu dois faire un truc, tu verras sur le coup". Ce n’est pas elle qui me forçait à faire du dessin, mais elle voyait que c’était mon truc. Elle n'est pas dans le dessin et mon père non plus, même s’il dessinait pour lui-même quand il était petit, donc il s'agissait juste d’écouter leur enfant et de lui dire : "vas-y, et on verra après". Mes parents sont divorcés et je vivais  seul depuis l’âge de 14/15 ans car j’étais au lycée à Toulouse et que ma mère habitait à la campagne. J’avais une toute petite chambre pourrie pour pouvoir être sur place et après mon bac, ma mère m’a dit "pendant un an, on peut assurer financièrement si tu ne gagnes pas du tout d'argent”. Donc, je me suis mis à fond dans la bande dessinée, j’avais trop envie de toute façon, ce n’était même pas une contrainte. Je pensais que j’allais devoir enchaîner les projets, mais avec le soutien de mes parents, j’ai signé mon premier contrat dans la foulée.

Donc, à 20 ans, vous publiez votre première BD, Les Quatre Princes de Ganahan, chez Delcourt, scénarisée par Raphaël Drommelschlager. Si les critiques ont loué votre dessin, plutôt abouti pour un premier album, le titre n’a pas vraiment rencontré le succès. On vit ça comment quand sa première série est un flop ?

L'accueil n'était pas si mitigé au début. C'est plutôt vers la fin de la série. Et très vite, j’ai arrêté de googliser mon nom pour éviter d’être déprimé justement. Parce que même les gens qui disent "le dessin est super, par contre…", c’est sur le "par contre" qu’on va rester, et pour me préserver, j'ai arrêté d'aller sur internet. Au tout début, les critiques étaient très enthousiastes sur la série, sur le fait que j’étais un jeune dessinateur et que je faisais ça assez bien pour mon âge. Mais j’ai laissé de côté les critiques car elles se focalisaient sur le fait que j’étais un jeune dessinateur et ça m’emmerdait (rire). Je me disais, au-delà d’être jeune, est-ce que mon dessin vaut le coup ? Je me suis dit qu’il fallait que je fasse mes preuves et que je vois sur le long terme.

Après les critiques ça a toujours été difficile même aujourd’hui. Les réseaux sociaux si je n’y vais pas si aussi parce que je n’aime pas les critiques. Je n’aime pas lire ce que l’on pense de ma série, en bien , en pas bien, les attentes ou quoi, tout ça ça me fait peur, donc je mets de côté, j’essaie de pas focaliser. Mais le fait d’avoir une première série, d’être allé au bout, chez un gros éditeur qui plus est, avec lequel ça s’était très très bien passé c’est top. Par contre, ça marchait pas, ça marchait pas beaucoup, et de moins en moins, et ça, c’était plus difficile. Je fais de la BD pour être lu et me rendre compte que c’était pas trop le cas, que ça suivait pas à hauteur de ce que j’espérais… C’est jamais à la hauteur de ce qu’on espère…

On (le scénariste et moi-même) avait un rapport super fluide avec mon éditeur avec qui on s’entendait très bien et il était très serein sur le fait qu’il fallait construire une carrière et les éditions Delcourt étaient assez bien là-dessus, surtout avec les jeunes auteurs. J’ai des amis avec qui j’ai commencé à l’époque et qui travaillent encore là-bas et qui en effet, de séries en séries, ont marché de plus en plus. Et je vois que leur stratégie, qui me semblait à l’époque pas assez, qu’il ne faisait pas assez de promo, mais on se cale, on a un catalogue à faire marcher en entier et on ne va pas essayer de faire émerger juste l’un ou l’autre parce que ça ne va servir à personne. A l’époque ça me paraissait un discours un peu bête, mais maintenant, je vois des amis avec qui ça marche et que c’était un truc assez bien à mettre en place. Eux me disaient "vous avez une première série, vous avez quatre tomes, allez au bout, les gens verront que vous êtes fiable, que vous avez raconté une histoire et que vous l’avez terminée. Sur la prochaine série, vous allez avoir une partie de ce public et éventuellement une partie d’un autre et on va construire un truc sur la durée". Je n’ai pas continué avec eux après, mais j’ai pu vérifier qu’ils avaient cette bonne stratégie pour faire fonctionner leur catalogue.

Et après, vous êtes allé chez Soleil ?

Oui, et c’était différent (sourire).

Publier Radiant chez Delcourt, c’était envisageable ?

Oui, totalement. J’ai proposé Radiant à tous les éditeurs avec qui je voulais travailler, dont Delcourt, puisque ça c’était très bien passé et qu’ils avaient publié l'un des premiers mangas français, Pink Diary. A la fin, ça s’est joué entre Delcourt et Ankama qui avait l’attrait d’un nouvel éditeur avec qui je n’avais jamais travaillé, qui faisait les choses différemment et qui était moins gros que Delcourt. Je me suis dirigé vers Ankama, mais ça s’est joué à très peu de choses.

J’avais également proposé Radiant à Glénat qui n’a pas donné suite. Aujourd'hui, ils font du manga français, mais à l’époque, je n'ai même pas reçu de réponse, je sais même pas s’ils ont eu le projet. Il y avait aussi Kurokawa qui était juste un éditeur de licences de mangas japonais et qui m'a dit non parce qu’ils ne faisaient pas d'auteur français. Et puis Kana, qui était intéressé, mais qui m’a dit non parce qu’ils ne voyaient pas trop où je voulais en venir et qui ne pensait pas que ça allait marcher.

Il faut savoir que ça coûte beaucoup d'argent à l'éditeur. Ceux qui faisaient du manga français à l'époque avaient du mal à rentrer dans leur frais. Pika a publié Dreamland en 2013 et c'est une des premières séries de manga français qui a marché. De tous les autres éditeurs qui ont suivis derrière, aucun n’est jamais rentré dans ses frais. 

Comment est né Radiant ? C’est un scénario que vous aviez en tête depuis longtemps ?

J’ai l’impression d’avoir fait une salade avec tout ce qui me suit depuis que je suis tout petit. D'aussi loin que je m’en souvienne, ça m’a toujours fait rêver, les bateaux qui volent, les espèces de vaisseaux en bois… Pas la SF, mais vraiment de la fantasy assez aérienne avec des nuages, des vaisseaux en bois… Allez savoir pourquoi ! J’ai mis ça dans Radiant. Des pouvoirs magiques aussi car l’univers de la sorcellerie est un truc qui m’a toujours botté. Pour Radiant, je me suis mis à lire sur la sorcellerie en Europe, l’Inquisition et ça m’a botté encore plus de mélanger le folklore avec ce côté chasse aux sorcières et tout qu’on avait dans notre culture. Donc il y a tout ça, qui était latent dans mon esprit et qui attendait d’être utilisé, et alors que je faisais une série avec un de mes auteurs favoris, Didier Tarquin, qui est l’auteur de Lanfeust, je me rendais compte que, alors que c’est un gars que j’adore et que j’adorais travailler avec lui, j’avais du mal à bosser sur ce projet-là alors que tout était réuni, Soleil était à fond derrière, Didier est quelqu’un de super, le scénario me bottait, l’univers aussi, et pourtant je ne trouvais pas de plaisir à le faire parce que je n’écrivais pas.

De cette frustration est né le projet. En plus, c’était le moment où on attendait notre enfant avec ma copine, et je me disais, je ne peux pas être en train de faire le métier que j’adore, que j’ai attendu de faire toute ma vie, et être un papa dégoûté et frustré quand elle va naître. C’était une image que je refusais. Je me disais, "j’en connais trop qui sont comme ça et c’est difficile de se sortir de ce schéma-là". On fait le boulot qu’on aime, on nous propose quelque chose qui nous va à moitié et on se contente de la faire en se disant "au moins, je fais le boulot que j’aime". De tout ça a explosé Radiant. C’est tout un tas de frustrations qui ont fait naître le projet. J’ai réuni tout ce qui me suivait depuis tout petit et les choses qui m’intéressaient au moment où je l’ai écrit. C’était le moment où, en France, la politique a commencé à virer à droite et à l’extrême-droite, où le discours raciste était, on va dire, facilité, donc il y a avait un truc à jouer avec la chasse aux sorcières, l’immigration, etc. J’ai réuni tout ça et j’ai fait Radiant. Et puis mon expérience de la vie en cité aussi. J’ai grandi dans la banlieue de Toulouse et je raconte ça aussi dans Radiant.

Vous dites que Radiant est né de vos frustrations de travailler avec d’autres sur des projets qui n’étaient pas les vôtres, mais vous avez par le passé dessiné et scénarisé une série, Hana Attori. C’était une commande ?

Non pas du tout. C’était un truc que je voulais faire complètement, mais j’avais l'impression que ce n’était pas vraiment un manga. Et en le faisant, je me suis dit que je ne pouvais pas faire semblant. En plus, ça ne marchait pas du tout et pourtant, c’était une série qui avait une cote énorme chez les professionnels. Quand la série a été annoncée et prépubliée dans Lanfeust Mag chez Soleil, je recevais des appels et des messages d’éditeurs et d’auteurs, parfois juste pour me dire qu’ils adoraient ce que je faisais. Des auteurs me demandaient comment je bossais, pourquoi j’arrivais à bosser comme ça, c’était vraiment fou. Avant que ça sorte j’étais persuadé que ça allait être un succès vu l’engouement perçu via le magazine. C’est sorti ça a fait un bide complet, mais alors vraiment catastrophique. Ca a été très très difficile de voir que d’un côté, c’était prisé, et de l’autre, ça ne marchait pas, et ça marchait de moins en moins. Je me suis rendu compte après coup que Soleil n'avait pas joué le jeu de respecter le contrat et qu’ils avaient sous imprimé la série et ne lui avaient pas donné la chance qu’elle devait avoir. A un moment, je leur ai dit "rendez-moi les droits, sinon je vous attaque en justice". Ils m’ont rendu les droits, parce que ce n'était pas ce qu’il y avait de marqué dans les contrats. Soleil a peut-être accentué l’échec d'Hana Attori, mais je ne pense pas qu’ils l’ont provoqué. Et moi, j’avais la frustration de ne pas pouvoir raconter en 48 pages tout ce que j’aurais pu raconter dans un manga qui en fait 160 ou 180. Et je me rends compte aujourd’hui, en faisant Radiant, que Hana Attori était une bonne école.

Comment définiriez-vous le style manga ?

Je dirais qu’il n’y a pas vraiment de style, car dans le manga japonais, il y a énormément d’écoles de dessin différentes. Après, je dois être honnête et reconnaître qu’on arrive assez facilement à identifier des dessinateurs japonais ou qui tendent vers un truc japonais. A quoi ça tient ? J’imagine qu’il y a un esprit de synthèse qui est culturel au Japon et qui vient déjà de la manière dont ils faisaient de l’illustration, où ils avaient des écoles d’interprétation. On apprenait comment on pouvait faire une vague, un héron, un arbre… Il n’y avait pas d’intérêt pour les illustrateurs qui arrivaient après de réinterpréter ce truc là. Ils partaient dessus et ils allaient plus loin. Et cette culture japonaise qui utilise ce qui a déjà été fait, ce qui crée finalement une espèce d’école, que je ne saurais pas trop définir.

En France, on préfère ce qui est unique. Les auteurs qui sont connus en France, qu’on entend à la radio ou qu’on voit à la télé, sont des gens qu’on considère comme étant des génies parce qu'ils sont uniques.

Vous pensez à qui ?

Par exemple à Joann Sfar. Il a un style unique, le personnage est intéressant et il promeut la bande dessinée d’une chouette manière, mais ce n’est pas ce que je lis.

Peut-être parce que c’est très verbeux. Le dessin a finalement peu d’importance.

Oui et c’est sa démarche. Mais les médias français ont tendance à priser les auteurs qui vont dans ce sens-là. Il n'est pas tout seul dans ce cas-là. Et finalement, ça fait aussi une espèce d’école, de style unique. Alors qu’on est quasiment tous d’accord avec le fait que le plus grand dessinateur de tous les temps en France, c’est Albert Uderzo. Et il est en plein dans une école de bande dessinée franco belge à gros nez. Très proche finalement de ce qu’on fait dans le manga avec une école qui découle d’un style. Et pourquoi à l'époque les mecs dessinaient tous des gros nez, alors qu’on ne peut pas dire en France qu’on a tous des nez tout rond et gros ? Mais il y a une espèce de logique. On voit que c’est l’école française, que ce soit Uderzo,  Peyo - j’adore Peyo - ou Franquin. Pour un étranger, pour un Chinois qui ne connaît pas du tout la bande dessinée française, tous les trois dessinent de la même manière et pour eux, c’est l’école française. J’ai entendu un auteur chinois qui disait : "l’école française, c’est la bande dessinée à gros nez".

Il y a un peu ce discours en France sur les mangas où on dit que les personnages ont tous des grands yeux. Et pourtant, si on regarde le rapport entre la taille de la tête et la taille des yeux, je suis à peu près sûr qu’on est quasiment tout le temps en dessous du rapport dans les BD françaises. C’est juste qu’en manga, il y a beaucoup de gros plans. Et que les yeux prennent une importance énorme quand on fait du gros plan. Maintenant que je suis confronté à ce que c’est que faire du manga en noir & blanc, je me rends compte qu’il y a plein de codes qui sont hyper logiques. Comme le fait d’avoir des speed lines parce qu’on a pas de couleur pour donner de l’émotion par exemple. C’est important parfois d’avoir l’impression qu’on focalise vers un perso quand il ressent quelque chose, c’est comme s’il y avait un effet sonore derrière. Et j’ai appris après qu’ils appelaient ça des effets sonores. Mais dans Astérix, ils faisaient déjà ça en fait. On attribue ça au manga, mais Astérix est plein de speed lines.

En France, ça faisait école car à cette époque-là, il y a avait, comme dans le manga, un maître et des élèves. Peyo avait un studio avec des assistants. Chacun a fait une série après, et c’est pareil au Japon. Donc, il y a le style du maître qu'on retrouve dans le style de ses assistants qui deviennent à leur tour des maîtres qui ont eux-mêmes des assistants, etc. Ca s’est perdu en France quand la presse a disparu, mais c’est resté au Japon car les magazines de prépublication existent encore, mais je suis prêt à parier que si la presse disparaît au Japon, ça va couper court à cette espèce d’école qu’on arrive à reconnaître, et ça va donner lieu peut-être à des trucs plus différents. Mais en tout cas, on peut retrouver ça en France au moment où l’industrie de la bande dessinée ressemblait à celle du Japon, où les magazines sortaient toutes les semaines et les mecs devaient produire en quantité avec des assistants. Et il y avait le style gros nez ! 

Comment s’élabore Radiant au quotidien ?

Je me lève vers 5h30 et je commence à travailler à 6h dans mon atelier qui est à 10 minutes à pieds de chez moi. J’écris un chapitre, environ vingt pages, dans l’idéal sur une journée, sous forme de storyboard, un truc très très jeté avec des petits bonhommes qui ne ressemblent à rien, des bulles de dialogue et des cases, juste pour savoir ce qui va s’y passer. Dans l’idéal, je fais ça sur un jour, parfois deux ou trois. Ensuite, je fais chaque jour un certain nombre de pages, entre trois et dix, dix étant vraiment le maximum de ce que je peux faire, les pages étant crayonnées et encrées, donc définitives. Avant, je faisais tous les crayonnés d’un coup, mais maintenant, je crayonne une page et je l’encre directement, puis je passe à la suivante, et ainsi de suite. Et quand c’est fini, et bien rebelote, j’écris un chapitre à nouveau et puis je fais les pages.

Depuis le dernier album, j’ai une assistante qui m’aide sur les trames. J’avais déjà essayé de travailler avec un assistant par le passé, mais ça n’avait pas marché car ça me faisait perdre du temps. Mais pendant le tome 9, je me suis rendu compte que je ne tiendrai pas les délais si je faisais ça tout seul. Donc j’ai fait appel à Tpiu, une dessinatrice que je connaissais qui fait aussi du manga et qui sait comment on fait des trames. Elle est en France, donc tout se passe sur internet, une fois que j’ai scanné et monté mes pages. Comme je bosse tout seul, il y a des choses que je fais sur ordinateur, comme par exemple remplir les grandes zones de noir. Puis, je prépare le travail de trame en indiquant d'une croix où je veux de la trame. C’est comme si elle était à côté de moi et que je lui disais "sur cette case, je veux que le premier plan soit tramé". Très souvent, je mets de la trame sur le premier plan pour le détacher du deuxième. Je n’ai pas ce qu’on appelle de la trame narrative c'est-à-dire des ombres, de l’ambiance, du ciel. Moi, c’est plus l’école Dragon Ball, Naruto, One Piece où il y a très peu de trame, eux parce qu’ils doivent aller très vite, moi aussi maintenant parce que je dois aller très vite aussi (rire) mais surtout parce que j’aime laisser la place au dessin. Ça me fait gagner du temps, et ça lui fait gagner de l’argent, donc on est tous contents. On a décidé de reconduire notre collaboration pour le tome 10 et on décidera à l'avenir si ça se poursuit car elle fait aussi du manga de son côté.

Vous vivez désormais au Québec ?

Oui, j'entame ma huitième année à Montréal et c'est ici que j’ai commencé Radiant. J’avais juste envie de voir comment ça se passait ailleurs. On râle beaucoup en France et, au bout d’un moment, je préférais que ça devienne une réalité pour savoir si j'avais raison de râler ? Et finalement, c’est juste différent, pas mieux ni moins bien. Je suis venu ici pour un an et puis on est restés avec ma copine. On est arrivés tous les deux et maintenant on a un enfant, on est bien ici, donc on est restés.

Vous n’êtes pas sur Twitter, un peu sur Facebook avec le compte Radiant. Vous entretenez quel rapport avec les réseaux sociaux ?

Je déteste ça en plus grande partie. J’adore le fait que ce soit un outil qui nous permet d'encourager les illustrateurs, les auteurs ou les chanteurs qu’on aime. Pour ça, c’est fantastique, mais c’est devenu un mode de vie depuis quelques années, et quand il y a eu ce glissement, je l’ai pris de plein fouet. Il y a environ 5 ans, j’étais au tout début de Radiant et on commençait à en parler beaucoup, notamment grâce aux réseaux sociaux, et je donnais sans arrêt un feedback sur le feedback qu’on me donnait. Donc, je répondais, je lisais tous les commentaires, et en fait, j’ai eu une très mauvaise période avec ça, c’est devenu invasif. Les gens se sont habitués à communiquer directement avec moi, comme si j’étais un copain. Et, même si je n'aime pas la distance ou les rapports d’autorité, j'attends un peu de respect quand on se connaît pas. Au moins la politesse et pas "pourquoi t’as fait ça ?""tiens, tu devrais dessiner ça" ou juste des menaces. Je n'aimais pas cette proximité et le fait que les gens imaginaient qu'ils pouvaient entrer dans ma vie comme ça. Donc, j’ai fermé les messages sur le compte Facebook de Radiant et on ne peut plus m’envoyer de messages privés. Et, voyant que ce n’était pas suffisant (même si la plupart des commentaires se régulaient tout seul car des gens intervenaient quand il y avait des conneries ou des trucs méchants), j’ai laissé de côté les réseaux sociaux, et c’est là où je me suis mis à produire deux albums par an ! Et cette année, ça sera trois.

Du coup, c’est à chaque fois ma recommandation quand on me demande des conseils pour des gens qui font du manga. Je leur dis "lâchez internet !". Je n’ai pas d’ordinateur à l’atelier. Là, j’ai pris mon iPad pour pouvoir faire l'interview, et tous les jeudi, j'ai un rendez-vous avec les gens de la chaîne NHK qui font l’animé (c’est pour ça que j’ai un iPad maintenant). Mais sinon, l’iPad n’est pas avec moi. J’ai un vieil ordinateur qui me permet de scanner, mais qui n'est même plus capable d'aller sur internet. D'une manière générale, j'ai laissé tomber Internet et je me suis tourné pour la documentation vers les bibliothèques. J’y allais beaucoup pour écrire mes histoires, et finalement, je me suis rendu compte que tout était là-bas. Ce qu’on peut trouver sur internet, c'est souvent documenté par des livres papier. Les réseaux sociaux, maintenant c’est ma vitrine, j’y vais uniquement pour dire "je sors ça", "j’ai fini un album" ou "je vais être à tel événement". Puisque Radiant est désormais publié dans plusieurs pays dans le monde, c’est important de communiquer de ce point de vue là, mais c’est un outil que j’utilise au minimum. Du coup, je trouve que mon rapport avec les gens est meilleur. Je n’ai vu que des bénéfices à arrêter. 

Votre rythme de travail s’est rapidement accéléré avec le succès de la série. A quoi ressemble la vie de Tony Valente depuis qu’il doit s’occuper de son nouveau bébé ?

Je travaille plus efficacement et je me suis aussi habitué à écrire du manga. Avant, je procrastinais beaucoup, beaucoup. Le fait de me couper d'internet m’a beaucoup aidé. Pendant les deux ou trois premiers tomes, j’étais encore sur internet et c’est terrible pour la production. Je me rends compte aujourd’hui que tous les gens que je connais fonctionnent comme je le faisais avant et je me rends compte désormais du temps qu’ils perdent. Je suis catastrophée pour tout le monde (rire) ! On a l’impression d’être tout le temps à bosser, mais c’est parce qu’on ne bosse pas efficacement, car on est tout le temps sur internet. Concrètement, j’ai gagné des heures de travail tous les jours, donc des jours par semaine. Et, je travaille aussi plus efficacement. Avant, il m’arrivait d’avoir besoin d’une, deux ou parfois trois semaines pour écrire un chapitre. Maintenant, au maximum je vais prendre trois jours. Parce que je suis habitué aussi à écrire. J’ai fais quelques albums de manga maintenant donc je sais comment ça fonctionne. Et je connais mieux mon univers et mes personnages.

Il y a aussi l’engouement qui est un moteur de fou, le fait de savoir qu’à chaque tome qui sort, ça marche encore plus. Et puis la série est maintenant publiée à l’étranger. Je me suis dit "tiens, il y a d’autres personnes qui vont le lire" et c’est hyper galvanisant. Je sais que je ne travaille pas que pour moi, qu’il y a des lecteurs en France et maintenant dans plein d’autres pays. Et puis maintenant, il y a la série animée. Ca m’a donné encore un autre boost.

Un autre truc, c’est que je ne veux pas devoir justifier mon boulot auprès des lecteurs et je trouve que c’est un des mauvais travers des réseaux sociaux. Souvent, on demande aux lecteurs d'être indulgents en disant "j’ai du faire ça vite", par exemple. Je ne veux absolument pas de ça. Je trouve que c’est un très très mauvais combat. Si l'on doit perdre de l’énergie, c’est dans son boulot. Et moi ça a toujours été un de mes crédos. Je fais au mieux, et si ce n’est pas bien, c’est de ma faute. Mais je ne veux pas avoir à dire "soyez indulgents". D’une part, parce que je suis français, parce que je travaille tout seul, et je suis obligé de gérer ma vie et d’essayer d’être un papa en plus d’être avec ma chérie. Je ne veux pas me justifier de ça. Au niveau compétition éditoriale, je me bats avec tous les autres shonen, dans un paysage hyper saturé, avec des gars qui ont des dessins animés, des jeux vidéo, des figurines, etc. Moi, je n’ai pas tout ça. Bientôt, il y aura l’animé, mais jusque-là, ma seule arme, c’était de me dire "je vais essayer d’écrire au mieux et d’augmenter le rythme pour être aussi présent qu’eux". A terme, c’était mon but d’être à trois albums par an parce que les gros shonen sont à quatre. En France, on peut dire "cocorico" et soutenir la série parce qu’elle est française, mais ce n’est pas le cas ailleurs. Quand Radiant arrive en Allemagne ou en Italie, il n’en ont rien à foutre que ce soit un manga français. Il faut que l’histoire soit aussi bien et qu’il y en ait autant à lire que les mangas qu’ils aiment par ailleurs et qui viennent du Japon. C’était ma motivation.

Après, monter à quatre tomes par an, ça me parait compliqué. Je pourrais, si j’arrêtais complètement de faire la promotion de ma série. En tant que lecteur, par exemple, j’étais super content quand je voyais Zep à la télé. Je me disais "voilà un truc qui est populaire, qui est familial, qui n'a pas la prétention d’être complètement unique et original et qui est super". Et je trouvais qu’on voyait trop peu d’auteurs comme ça dans les médias. Et quand Radiant a commencé à marcher, j’ai été sollicité pour faire des interview, et alors que je détestais faire ça, j’en ai pris mon parti. Je me suis dit "non, je ne peux pas râler d’un coté parce que je ne vois pas les auteurs que je lis dans les médias et ne pas me prêter au jeu". Faire la promo sous cette forme là, c’est important pour montrer ce que c’est que de faire du manga en France. Et maintenant j'ai la chance d’aller dans des festivals, et c’est incroyable. Je pensais que ça n'arrivait qu’aux acteurs de films (rire). Quand je vais à la Japan Expo, dans d’autres festivals ou même au Japon, à chaque fois, c’est fou. Il y a énormément de monde pour les dédicaces, énormément d’engouement autour de la série avec des gens qui la soutiennent qui sont contents de me voir faire la promo. Du coup, ils en parlent d’autant plus. Et jusque-là, vu qu’il n’y avait pas d’animé et que c’était ma seule arme, il fallait que je sois présent là où les gens lisent pour que les gens en parlent. Et je me suis rendu compte que c’est un truc important dans ma vie. Quand je fais Radiant, je suis tout seul dans mon atelier, mais je le fais pour être lu. Sinon, je ferais un journal intime. J’ai toujours fait ce boulot pour être lu, même quand ce n’était pas encore un vrai boulot. Donc, oui, la promotion prend du temps et aller à l’étranger, c’est hyper important. C’est même devenu un truc essentiel.

Donc, trois albums par an, ça me laisse le rythme idéal pour faire mes albums, passer du temps à l’étranger pour faire la promotion et parfois amener ma petite famille à l’étranger pour des vacances. Là, on va aller au Japon car je suis invité par l’ambassade française pour faire la promotion de ma série en novembre. Il y a plein d'opportunités qui font qu’en ce moment, j’ai la vie idéale. Si je devais passer à quatre albums par an, je commencerais à peiner et j’aurais un rythme à la japonaise et je verrai peu ma famille.

A quoi ressemblent les lecteurs de Radiant que vous rencontrez en dédicaces ou qui vous écrivent ?

Je ne sais pas pour les lecteurs, mais dans les gens qui se manifestent sur internet ou qui viennent lors de séances de dédicaces, j’ai autant de filles que de garçons, peut-être même plus de filles. Je suis très content, car ça veut dire que ce que je raconte les touche assez. C’est une de mes grosses fiertés puisque le shonen, c’est un truc pour les garçons. Il y a un fan-club sur Facebook, Les Radiantiseurs, qui a été monté par des filles et qui a environ 1200 abonnés, et tous les jours ou presque, ils font des trucs, des dessins, ils lancent des concours, je les ai vu aussi en cosplay, ils envoient des questions, ils font des théories, etc. C’est vraiment un groupe actif et je me rends compte qu’il y a une belle disparité entre tous les types de profil qu’on peut trouver parmi mes lecteurs.

Sinon, au niveau de l’âge, il y a parfois des enfants, mais je pense qu'ils sont un peu jeunes. Par exemple, je ne le lirai pas à ma fille, car il y a des sujets abordés qui sont un peu trop sérieux. Autant il y a une lecture premier degré qui peut passer, autant il y a du second degré qui a tendance à être un peu trop sexuel, même si ce n’est jamais sexuel, il y a beaucoup de connotations dans les blagues. Une fois, dans les gens qui sont venus me voir, il y avait un gamin qui devait avoir genre 8 ans avec son père, un jeune papa qui était à peine plus âgé que moi, et le père du père. Et les trois lisaient Radiant. Ça, c’est à peu près la cible démographique que j’ai en dédicace. Mais le plus gros du lectorat va de la fin de l’adolescence au début de l'âge adulte.

Avez-vous toujours le temps de lire des mangas ?

Oui, j’essaie d’en lire. En ce moment, je lis Gunnm (éd. Glénat) et My Hero Academia (éd. Ki-oon). My Hero Academia, c’est une nouvelle claque, comme Naruto, comme One Piece. Aux Etats-Unis, c’est la meilleure vente de mangas. Et ça marche parce que c’est trop bien. Pour les gens qui aiment ce qu’il y avait avant, ça reprend le flambeau, comme Naruto reprenait le flambeau de One Piece. Il y a plein de séries qui s’essayent à ça, mais celle qui le réussit vraiment, pour moi, c’est My Hero Academia.

Je n’ai pas encore lu le nouveau shonen dont on parle, The Promised Neverland, mais je l’attends avec impatience, car un ami m’en a beaucoup parlé. Et quand j’étais au Japon la dernière fois, j'ai feuilleté les tomes avec envie car j’aime bien le dessin que je trouve vraiment singulier. Je lis des Shonen Jump dans lesquels il est publié, mais je ne lis pas le japonais, donc je ne fais que regarder.

Vous êtes plutôt Akira Toriyama (Dragon Ball), Yusuke Murata (One Punch-Man) ou Eiichirō Oda (One Piece) ?

Ben, les trois ! Je peux pas choisir… Peut-être Toriyama parce que c’est lui qui a commencé et dans l'œuvre de Murata et d'Oda, on retrouve tout ce que fait Toriyama, mais j’aime trop les deux autres pour d’autres raisons. J’aurais bien du mal à choisir. En tant que dessin technique pur et dur, c’est Murata. Le charme qui transpire de partout, ça serait Toriyama, et le génie et la liberté, ça serait Oda. Chacun a un truc spécifique.

Serait-il envisageable que vous soyez dans un jour prépublié dans le Weekly Shonen Jump ?

Non, même si ça fait envie car je rejoindrais tous mes héros qui ont été publiés dans le Shonen Jump. En fait, je pense que je ne peux rien faire de plus qu’avoir un dessin animé. Je suis en train de vivre les meilleures années de ma carrière. C’est une chance inouïe d’être dans ma position en ce moment, je m’en rend compte, mais je ne pense pas que ça se reproduira, c’est tellement curieux que ça arrive, c’est vraiment bizarre. Il y a tellement de chance au milieu de tout ça que je ne pense pas en réunir assez à nouveau pour que ça se reproduise.

Vous pensez que c’est de la chance ?

Beaucoup. Des gens qui travaillent autant que moi et qui essaient de faire aussi bien, il y en a plein, même en France. Que ça tombe sur moi, maintenant, je pense que c’est une énorme part de chance. Peut-être le bon moment aussi. Mais la chance est évidemment dans l’équation.

Ce n’est pas juste que vous êtes meilleur ?

Ah non, non, non ! Je ne suis pas meilleur, vraiment, je ne pense pas. Déjà, ça voudrait dire meilleur que tous les mangas qui n’ont pas de dessins animés. Or, je lis plein de trucs japonais qui n’ont pas de dessin animé et qui sont fantastiques, donc non, je n’y croirai pas.

Mais il y a aussi plein de mangas moyens qui ont des animés.

Oui, et plein de trucs terribles qui n’en ont pas. Comme Yotsuba & ! qui est fantastique ou Vinland Saga qui est génial et aucun des deux n’a de dessin animé. Berserk a dû attendre je ne sais pas combien de temps pour avoir un dessin animé potable et c’est arrivé récemment alors que c’est une de mes séries préférées et que c’est une des séries préférées de tout ce qui ont lu Berserk. Et il y a tellement de séries dans ce cas de figure que, oui, il y a une part de chance énorme. Le fait que ce soit adapté en dessin animé, il a fallu que j’ai la chance qu’un éditeur japonais se penche dessus et dise "j’ai envie de le faire" et que le producteur de la NHK tombe dessus parce qu’il lit des shonen, qu’il est à fond sur les shonen mangas de type Shonen Jump, et qu’en trouvant Radiant, il a éprouvé personnellement le même plaisir qu'en lisant ses séries préférées. Ce n’est pas une démarche genre "on va chercher un shonen français à faire", ce n’était pas du tout ça. C'est juste qu'il a eu un coup de cœur, car il a trouvé que ça ressemblait à des séries de type Naruto, One Piece et Dragon Ball et qu'il y en a moins maintenant. Et que ce mec, qui est plus ou moins de ma génération, qui aime les jeux vidéo que j’aime aussi avec des univers de type aventure et fantasy et qu’il travaille à la NHK, qu’il soit producteur et qu’il y ait un créneau pour présenter le projet. Il y a quand même une énorme part de chance. Il aurait pu tomber dessus alors qu’il était déjà en train de faire un autre projet. Il aurait pu tomber dessus avant d’être à la NHK et du coup l’oublier. Bref, je ne m’attends pas à ce que ça se reproduise.

Vous évoquez justement les jeux vidéo. Quels sont les titres qui vous ont le plus marqués ? Vous jouez à quoi aujourd’hui ?

Je joue à plein de jeux, mais des jeux qui m’ont inspiré et qui m’ont amené à Radiant, il y a les Final Fantasy qui sont des RPG avec de la fantasy très aérienne. Des trucs de type Dragon Quest aussi, dessinés par Toriyama justement. Et dans Radiant, il y a beaucoup de références au folklore européen, des choses que l’on peut retrouver dans des jeux comme Skyrim ou The Witcher, des jeux auxquels je joue et que j’adore. Ce n’est pas tant les jeux qui m’influencent, mais je me rends compte qu’il y a un tronc commun qui tient au folklore et aux contes de fées.

Après, je suis un joueur un peu touriste. J’aime bien aller me balader dans des mondes ouverts type RPG fantasy tout ça. The Witcher 3, c’est mon jeu préféré. C’est un des trucs que je fais le soir quand j’ai le temps. Ce jeu, je l’ai fait sur un an et quelque. J’ai dû cumuler 200 heures de jeu dessus. Mais en même temps, c’est tellement fantastique. Je dois avouer que pour The Witcher 3, j’étais en train de concevoir le deuxième arc scénaristique des Chevaliers Sorciers, et la manière dont ils ont fait l’univers, cette impression que l'on a d’aller dans un pays qui existe vraiment, j’ai essayé de le décrypter pour voir comment ils avaient géré ça et ça m’a tellement aidé pour construire mon univers à partir du 5 que ça a été fou. Avant, c’était plus une fantasy aérienne un peu loin du truc où on ne ressent pas tellement le truc de manière organique. Les lecteurs me l’ont confirmé, "à partir du tome 5, on avait l’impression d’être quelque part". Pas que ce n’était pas le cas avant, mais là ça devenait concret, il y avait une espèce de logique et plein de jeunes lecteurs m’ont dit "tout d’un coup, je voulais être dedans". Avant, avec l'arc à Rumble Town, il me semblait que je ne pouvais pas être plus concret que ça, mais finalement, l'immersion se joue dans les détails. 

Concernant le rythme insufflé dans Radiant, puisez-vous du côté des séries télé ?

Pas vraiment, je ne suis pas trop séries télé. J’en regarde, mais surtout des comédies, comme Friends ou The Good Place. Et sinon, dans les romans, j’aime bien les trucs feuilletonnant. Si on lit n’importe quel truc de Dumas, ça finit à chaque fois par des mecs qui sont prêts à mourir, une épée plantée en travers du corps ou sur une falaise, et on se demande ce qui va se passer après. Donc, les séries télé n'ont rien inventé de ce côté.

De toute façon, je trouve que le manga force à ça. C’est confortable pour écrire parce qu'au-delà d’avoir plus de pages que dans une BD, on peut considérer le chapitre comme une petite histoire en soi avec la fin qui va donner envie d’aller au chapitre suivant, mais pour moi, c’est surtout une fin qui me donne envie d’écrire la suite. Donc, j’essaie de le faire comme ça parce que j’ai l’impression que j’écris mieux. Pourtant je ne suis pas obligé de faire des chapitres étant donné que je ne suis pas prépublié. Je ne suis pas non plus obligé de les faire de 20 pages, je peux les faire de plus si je veux, ou pas. Le premier chapitre est toujours plus long dans les shonen, car c’est en général un one-shot qui est pré publié dans les magazines et j’ai repris ce truc en faisant un long premier chapitre, en général, c’est 70 pages et le mien en fait 90. Et après, tous mes chapitres font 19 pages. Et à chaque fins d’albums, le chapitre est un peu plus long. J’essaie de finir sur un cliffhanger ou un truc un peu chouette, donc ils vont parfois jusqu’à 30 pages.

Et Game of Thrones avec ses intrigues multiples et la profusion de personnages ?

Je ne regarde pas la série. J’ai lu le premier bouquin. Je pense que je m’y remettrai parce que j’ai trouvé ça chouette et je crois que j’ai regardé les trois premières saisons de la série. C’est bien fait, l’univers est consistant, mais ça m’a saoulé à chaque fois de voir les héros autant malmenés. C’est l'objectif de l'auteur et il excelle à le faire, mais moi en tant que lecteur / spectateur, je tombe amoureux des personnages. Et j’ai vraiment du mal quand les persos sont malmenés à ce point là. En roman, je pense que je pourrais le supporter. En série, au bout d’un moment, le caractère graphic ("explicite") du truc, c’est violent. Je ne suis pas dans le gore, donc si on peut éviter, je préfère. 

Ce qui m’aurait amené à faire un récit choral comme ça, c’est plus Robin Hobb qui écrit L’Assassin royal et Les Aventuriers de la mer. C'est ma romancière préférée et sa manière d’écrire, de poser l’univers, de décrire un univers consistant m’ont énormément influencé. Il y a tellement de choses similaires dans The Witcher 3 que je me demande s’ils n'ont pas été grappiller de ce côté-là...

Vous avez galéré pendant presque dix ans avant de rencontrer le succès avec Radiant. Avez-vous déjà pensé à jeter l’éponge ?

Oui, financièrement, c’était parfois super chaud et j’ai pensé plein de fois à arrêter. D’ailleurs, dans ma tête, Radiant était le dernier truc que je m’autorisais à faire. Je trouvais que c’était trop difficile, pour ce que ça engageait dans ma vie, dans la relation avec ma compagne. J’ai essayais pendant dix ans, ça ne marchait pas, donc si je devais faire un dernier truc, il fallait au moins que ce soit un manga. Peut-être que si ça n’avait pas marché, je me serais dit "j’essaye encore" comme plein d’auteurs qui sont dans ce cas de figure et qui, finalement, ne peuvent pas s’arrêter. Radiant était le projet sur lequel je misais tout en me disant "ça ne sera pas lu, donc je vais faire ce que je veux. Je gagnerai peu d’argent avec, mais au moins, je le ferai le mieux possible. Et quand je serai vieux, je pourrai dire que j’ai fait un manga et pas que j’aurais pu faire un manga". Je me projetais en me disant que je ne voulais pas être le genre de personne qui regrette alors qu'elle a eu une opportunité. Donc, je l’ai fait en me disant "ça ne marchera pas puisque tous les mangas français se pètent la gueule".

Vous gagnez correctement votre vie désormais ?

Oui, beaucoup mieux (sourire). J’ai toujours réussi à vivre en ne faisant que ça. Ça a toujours été mon choix de ne pas prendre d’autre boulot à côté, de ne pas faire d’illustration, de publicité, de dessin animé, de jeu vidéo, de trucs comme ça. J’ai toujours refusé. J’ai eu des opportunités et parfois des trucs vraiment très très gros, mais mon truc, c’était de mettre toute l’énergie dans mes projets parce que je pensais que ça marcherait un jour. J’ai bien fait (rire). Mais au lieu de splitter l’énergie comme  beaucoup de gens autour de moi font, alors que je gagnais peu d’argent, j’essayais de faire avec. Je n’ai jamais eu trop de dépense. De toute façon, en faisant de la BD au rythme où je fais... Je ne sors pas, pendant des années je n'ai pas pris de vacances, j’ai pas de voiture, je fais mes courses à côté, je consomme peu, je ne bois pas d’alcool, je ne fume pas, donc je ne sors pas dans des boîtes ou dans des bars. Pendant des années, je ne savais même pas ce que c’était d'aller au resto. En fait, c’était comme quand j’étais petit, mais je faisais le boulot dont je rêvais.

Et maintenant, je n’ai pas l’occasion de partir souvent en vacances, mais quand je le fais, je ne réfléchis pas et on peut partir en famille. Ça n'a rien changé dans mon mode de vie. De toute façon, je vis encore comme si je galérais parce que je m’attends à galérer à nouveau dans les années qui viennent (rire). Même les mangaka les plus populaires, les mecs qui ont fait Bakuman et Death Note, ont écrit que malgré le succès mondial de Death Note, ils ne pouvaient vivre que quatre ans dessus. Au-delà, ils étaient à la rue. Ça donne la mesure du côté éphémère du marché aujourd’hui. Je suis certainement plus protégé en étant français parce que je gagne beaucoup plus de droits, il me semble, qu’un auteur japonais. Mes droits sont également mieux préservés, je contrôle beaucoup mieux ce que je fais et Elise [Storme, son éditrice française] gère des trucs de son côté, mais elle s’en remet sans arrêt à moi pour savoir si je veux ou si je ne veux pas quelque chose tandis que les éditeurs japonais font leur truc dans leur coin. Et les auteurs japonais, à ce que j’ai compris, touchent des royalties qui ne sont pas vraiment des droits d’auteur, et ils ne gagnent pas toujours d'argent dessus. Moi, c’est le cas. Si ça se trouve, dans deux ans, ça sera fini et je serai en train de taper à la porte de tous les éditeurs pour essayer de trouver du boulot.

Vous aviez d’abord signé chez Ankama pour trois tomes. Le neuvième sort le 25 mai en France. Vous comptez aller jusqu’où ?

Au départ, quand j’ai fait les trois premiers tomes, je savais que ça ne pouvait pas s’arrêter au tome 3, mais j’ai fait semblant. Je l'ai dit à Ankama depuis et on en rigole maintenant, mais à l'époque, je leur disais que je finirai au tome 3 alors que dans ma tête, j’étais parti pour faire une longue série. Je me disais que j'allais distiller les informations au début pour ne pas que ce soit trop lourd en laissant le plus gros pour le tome 4. Je considère d'ailleurs que l'histoire commence vraiment à la fin du tome 3 avec l’apparition du grand frère de Seth.

Mais dès le tome 2, on m'a dit "a priori, c’est parti, on va en faire pleins" et le boss d'Ankama m'a rassuré en me disant "si tu veux faire une série, il faut que ce soit long. Sur le manga, il faut attendre 6 ou 7 tomes et c'est à ce moment-là que ça va prendre". Et l’animé nous a été annoncé à peu près à ce moment-là. La série a toujours marché plus ou moins, mais elle a vraiment décollé au tome 6. On se rendait compte, qu’au-delà de marcher de plus en plus, ça devenait un gros truc, potentiellement un hit.

Vous abordez dès le tome 2 le problème de l’immigration, un thème (je crois) jamais abordé dans les mangas japonais. Comment cela a-t-il été perçu au Japon ?

C'est un thème que l'on retrouve parfois, comme dans Fullmetal Alchemist. Il y est question d'un peuple inventé dans un univers qui ressemble un petit peu à l’Allemagne pendant le nazisme. C’est un shonen hyper hyper profond et l'on change de point de vue sur l'un des persos les plus méchants lorsqu'on découvre son histoire, d’où il vient et ce qu’il est en train de combattre. C’est incroyable et ça parle d’immigration. Certains y voient une métaphore des juifs pendant l’Occupation nazie, d'autres une référence aux problèmes migratoires actuels.

Dans Radiant, les sorciers sont en fait des pestiférés, car ils ont été contaminés par une mystérieuse bactérie ou un virus. C’est une métaphore ?

Oui, un peu. J’imaginais que survivaient ceux qui voulaient bien dealer avec leur propre différence, ceux qui voulaient bien être différents aux yeux des autres et que c’était plus important pour eux que le fait de vivre ou mourir. Pour chacun des héros, j’ai essayé de leur mettre une infection qui soit en rapport avec leur propre chemin. Seth, qui a des cornes sur sa tête, est censé, puisqu’il fait de la sorcellerie sans outil alors que les autres doivent utiliser des outils, montrer qu’il n’est pas un monstre et en même temps se cacher. Mais ses cornes font qu’il ne peut pas vraiment le montrer d'autant plus qu'il fonce comme un "teubé". Ca le met plus en difficulté par rapport à sa condition. Mélie, qui tourne toujours autour du pot qui est un peu timide, a parfois un renversement de personnalité assez violent qu’elle ne maîtrise pas mais qui l’oblige à dealer avec le fait d’être de temps en temps trop violente et trop impulsive. Et Doc, lui, veut fuir le combat, il préfèrerait presque être mort et finalement, il renaît sans arrêt/ donc il se pourrait qu’il ait du mal à mourir, on ne sait pas (rire) et il est obligé de se confronter à ces conneries-là alors qu’il veut fuir à tout prix.

Après, les infectés, ceux qui ont vu la mort de près et qui préfèrent survivre s’ouvrent à l’utilisation du "fantasia", le nom que j’ai donné à la sorcellerie (en latin, ça veut dire imagination). Donc j’ai imaginé qu’en assumant leurs différences, ils avaient accès à ce truc-là que j’ai appelé imagination.

Il y a une raison particulière dans votre vie qui explique votre attachement pour les marginaux, les laissés-pour-compte ?

(rires) J’imagine que tout le monde se sent plus ou moins différent à des moments donnés. Moi, ça a été mon cas, car j’étais pas mal perché dans mes histoires à dessiner et ça m’est arrivé de me sentir un peu à part sans que ce soit très grave. Après, il y a l’expérience concrète de vie dans une cité avec des potes issus de l’immigration. Moi aussi je suis fils d'immigrés, mais ça ne se voit pas, je suis blanc mais ce n’était pas le cas de la plupart des potes avec qui je me baladais. A leur contact, il m’arrivait de ne plus pouvoir entrer dans des magasins où j’avais l’habitude d’aller ou d’être évité, choses que je n’expérimentais pas quand j’étais tout seul. Et je me rendais compte que c'était pas normal et ça me faisait chier. C’est un truc qui m’est resté. Donc, sans trop faire attention, j’ai mis ça dans Radiant.

Pour vous Radiant, c’est un "global manga" ou un "franga" ?

Quand on parle de "manfra", de "franga", je trouve ça horrible. On dirait qu’on a mal à la bouche. Moi je fais du manga. Je comprends que c'est le mot qu’on utilise pour définir la BD japonaise, mais du moment où c’est devenu un format tellement reconnu, on peut dire que c’est un format aussi. Moi j’appelle ça du manga.

Lastman, la série de Bastien Vivès, Balak et Sanlaville qui a commencé à être publiée quasiment en même temps que Radiant est souvent qualifiée de "manga à la française". Quel est votre regard sur leur travail et que pensez vous de cette appellation ?

C’est un des types de manga que l’on peut faire en France, mais c’est pas le seul manga à la française. On peut le faire de plein de manières. Il y en a qui disent que la série Les Légendaires (Delcourt) est une sorte de manga. C’est une série jeunesse qui fait un énorme carton et qui est très influencée par toute la vague de dessins animés des années 90, en particulier Les Chevaliers du Zodiaque. C’est très typé animation japonaise mais c’est un format complètement français, de 40/50 pages en couleurs et pourtant, il y en a qui considèrent que c’est quand même un manga. Et il y en a qui considèrent que je ne fais pas du manga car je suis français, même si ça y ressemble fortement. Aux Etats-Unis, on m'a même un jour qualifié de comics français !

Vous avez des titres de manga français que vous recommandez ?

Je vais être honnête, il n’y a rien qui m’a chauffé comme un manga qui vient du Japon. Je n’ai pas eu encore le coup de cœur qui me donne envie de suivre une série. Je pense que ça va venir parce qu’il y a de plus en plus de titres. Il y a des trucs dont je suis complètement admiratif. Comme le dessinateur Shonen qui fait Outlaw Players. Je ne l’ai pas encore lu, donc je ne sais pas si c’est bien mais c’est magnifique. C’est sa troisième ou quatrième série en manga, un des premiers dessinateurs de manga français et il est excellent. Il y a d’autres dessinateurs qui sont super bons comme Guillaume Lapeyre qui a fait City Hall chez Ankama. Et il y a des trucs hyper énergétiques comme Rafchan qui était chez Ankama et qui est partie dans l’auto édition. Dara qui était chez Ankama et qui faisait Appt. 44, du super boulot. Après, dans les hybrides qui viennent un peu du manga, un peu de la BD française et un peu du comics, il y a un truc qui s’appelle Freak's Squeele qui est chez Ankama encore et que j'adore. Et c’est le genre de truc que je recommande. C’est une de mes histoires préférées, une de mes séries préférées, c’est vraiment un truc excellent. C’est le seul exemple de séries françaises d'inspiration manga que je trouve incontournable. Ça devrait être connu dans d’autres pays, je ne sais pas ce qu’ils font (rires).

La nouvelle d’un animé Radiant a été confirmée en janvier dernier. Concrètement ça se passe comment pour vous ?

Jusque-là ça se passe bien. Ils adaptent assez fidèlement, même s’il y a de la réécriture. N’étant pas japonais et n’étant pas dans un magazine, mon histoire n’a pas été orientée par un tantô, [un éditeur] pour que ça s'adapte facilement en format dessin animé. Quand ils publient un truc dans le Shonen Jump, ils savent que, si c'est adapté plus tard en animé, ils ont déjà les éléments pour faire les saisons. Donc, avec Radiant, il y a un travail de réécriture pour que le rythme corresponde à ce qu’on voit dans un animé. Mais dans les grandes lignes, c’est Radiant tout craché. Ce sont les mêmes héros, ils ont les mêmes problématiques, ils ont les mêmes rapports entre eux, ils affrontent les mêmes dangers.

Et pour tout ça, les Japonais se réfèrent à moi, ils me posent plein de questions et je suis obligé de leur livrer plein de secrets pour qu’ils sachent exactement à quoi s’attendre, quels éléments sont importants. Et tout ce qu’ils font d’original, ils me le soumettent. Concrètement, je valide tous les scripts. Ils m’envoient les ébauches puis les scripts définitifs sur lesquels il y a les dialogues que je retouche aussi. Souvent, ça engage un dialogue avec eux, on regarde ce qui est le mieux et ils me disent ce qu’ils choisissent. La plupart du temps, je leur offre plusieurs pistes de travail. Ils ont vraiment à cœur de conserver le fond et la philosophie de la série et de chaque personnage. Ils sont très en profondeur contrairement à d’autres studios qui eux sont souvent très axés sur les détails. Avec la NHK, on parle beaucoup et concrètement de la philosophie de la série.

 

Depuis cette annonce, où en est le projet ?

Ils ont déjà écrit la moitié de la saison. Il y aura 21 épisodes de 25 minutes environ, et là, on arrive au dixième. Et ils vont commencer à enregistrer les voix le mois prochain. La saison s’arrêtera à la fin du tome 4, à la fin du premier arc.

Et en France, avez-vous trouvé un diffuseur et une date de diffusion ?

J’ai choisi de ne pas être impliqué dans toutes ces affaires-là. Je ne suis pas non plus impliqué dans la gestion des droits étrangers de Radiant. On vient vers moi quand un pays est intéressé, et à partir de là, je suis dans la boucle. Pour les droits de diffusion, c’est la NHK qui va dealer avec le monde entier, je ne peux pas être impliqué. A priori, ça va être diffusé dans un maximum de pays. Il se peut que se soit sur des réseaux comme Netflix ou Crunchyroll.

Cet automne, le premier tome de Radiant sort aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Irlande, et même en Afrique du Sud et l’animé débarque au Japon. Que peut-on vous souhaiter désormais ?

Si ça pouvait durer, ça serait vraiment miraculeux. Que ça en soit arrivé à ce point-là, la sortie aux Etats-Unis chez le plus gros éditeur américain, Viz Média, c’est complètement inattendu. C’est au milieu de Dragon Ball, de Naruto, de One Piece, c’est au milieu de toutes mes idoles et je serai dans le même catalogue. Ça, c’est un des trucs auxquels je ne pouvais pas m’attendre. Comme la diffusion au Japon, comme le dessin animé. Jusque-là, c’est bizarre. Il va y avoir un truc, je vais tomber malade ou je vais mourir demain, je ne sais pas (rires). Donc, si ça pouvait durer aussi longtemps que dure la série, si l’engouement, l’effervescence n'était pas juste une hype et si ça pouvait perdurer, ça serait le maximum que je puisse espérer. 

Vous vous voyez encore dans dix ans dessiner Radiant ?

Oui, j’aimerais vraiment. Surtout maintenant que j’envisage de faire trois tomes par an, on aurait une quarantaine de tomes, ça serait incroyable, fantastique ! Donc, si j’ai l’énergie, si les lecteurs sont toujours là, j’adorerais. Je fais le manga pour le lecteur que j’aimerais être, même si je ne peux pas découvrir Radiant, donc je ne peux pas dire ce que ça vaut. Quand je le lis, je ne vois que les trucs que j’aurais pu mieux faire, mais je me focalise vraiment sur le manga (et pas sur les problèmes de droits, par exemple). Donc, même s’il y a l’animé et d’autres trucs autour, je vais continuer à juste m’adresser au lecteur et à essayer de le faire au mieux. Et si les lecteurs continuent à me lire, ça me plairait bien de passer encore une dizaine d’années dessus.