Un joli pavé de 300 pages. Des planches avec une palette restreinte noir/gris/blanc. Un drôle de piaf en couverture, mélange entre Quasimodo, Guy Fawkes et Saturnin le canard. Et ce titre, énigmatique : L'Homme gribouillé. Vous faites la moue ? Vous ne devriez pas. Ce bouquin est un chef d'œuvre.
Ça parle de quoi ?
C'est avant tout l'histoire d'une famille de femmes, les Couvreur. La grand-mère, Maud, célèbre auteure de livres pour enfants. La mère, Betty, maquettiste dans une maison d'édition, qui fait de temps à autre des crises d'aphasie (impossibilité de parler), que seul un ostéopathe transi d'amour arrive à endiguer. Et la fille, Clara, une ado vive comme une pile électrique. Un jour pluvieux, Maud fait un AVC et doit être transférée à l'hôpital. En son absence, Clara reçoit l'étrange visite de Max Corbeau, un type désagréable au visage recouvert d'un masque de carabin et qui sème des plumes partout. Maud et lui avaient rendez-vous. La vieille femme devait lui remettre un paquet. Sans attendre son reste, il commence à fouiller l'appartement. Et ne trouve pas l'objet. Clara avertit aussitôt sa mère, qui elle, arrive à ouvrir le coffre-fort de sa mère. C'est le début d'une aventure qui les mènera au fin fond du Jura. Et qui changera l'histoire de la famille Couvreur. Vous en dire plus serait criminel.
Pourquoi on adore ?
D'abord, le casting. Frederik Peeters enchaîne les albums remarquables depuis une bonne décennie (Pilules bleues, Lupus, RG, Aâma, L'Odeur des garçons affamés) autant de titres sur lesquels vous pouvez vous ruer les yeux fermés). Quant à la bibliographie de Serge Lehman, le scénariste, rien à jeter non plus (Métropolis, L'Œil de la nuit, Masqué, La Brigade chimérique...). Cet alliage entre l'homme qui a ressuscité les super-héros à la française et un des dessinateurs les plus inventifs du moment fait des étincelles.
Est-ce une BD franco-belge ? L'éditeur et le pedigree des auteurs pourraient le faire penser. Est-ce un comics ? Par son découpage en chapitres, sa narration et son thème, L'Homme gribouillé a un air de famille avec ses cousins d'outre-Atlantique. Est-ce un manga ? La pagination, le style et les formidables scènes d'action (ahhh la scène du square en "caméra subjective" !) peuvent le laisser penser. Est-ce un hommage aux bouquins de SF des années 30 ? On pense aussi un peu à Jean Ray, le maître (belge) du surréalisme en s'attardant sur l'intrigue. Objet hybride, L'Homme gribouillé n'en demeure pas moins une réussite complète, qu'on aura du mal à reposer avant de découvrir l'épilogue.
C'est pour vous si...
Vous aimez les BD, les comics ou les mangas. Autant dire que si vous avez cliqué, vous êtes dans la cible.
Notez aussi que les deux auteurs pourraient avoir une responsabilité directe dans les inondations qui ont frappé les riverains de la Seine en 2017 cette année. Car quand ils ont décidé qu'il pleuvrait comme vache qui pisse pendant tout l'album, la Seine est sortie de son lit, ce qu'elle a à nouveau fait quelques jours à peine après la sortie du livre. Dans une interview au magazine Canal BD, Serge Lehman fait aussi remarquer qu'un glissement de terrain s'est produit en Suisse... comme annoncé dans l'album. Moralité : si vous croisez un drôle de type à plumes sur votre balcon, inquiétez-vous.
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L'Homme gribouillé de Frederik Peeters et Serge Lehman, éd. Delcourt, 326 p., environ 30 euros. Le début de l'histoire est disponible sur le site de l'album.