La série anthologique est un format délicat qui doit résoudre chaque saison une équation compliquée. Comment conserver son public chaque année sans l’appui d’une histoire forte ou de personnages fétiches ? Depuis les débuts d’American Horror Story en 2011, ce format tombé en désuétude fait pourtant des émules. En 2014, deux séries américaines s’y sont essayées avec brio : True Detective et Fargo. De retour un an plus tard avec une nouvelle histoire et un nouveau casting, la deuxième saison de True Detective n’a pas convaincu. Quid de Fargo, qui redémarre ce mercredi sur Netflix ? Avec un score (provisoire) de 96/100 sur Metacritic, le site américain d'agrégateur de critiques, on peut considérer que la nouvelle saison de la série inspirée du film éponyme des frères Coen est une immense réussite. Pop Up’ s’est penché sur la recette de ce succès.
En maintenant une unité de lieu
Qui dit anthologie dit absence de règle. S’il est nécessaire de conserver au fil des saisons un concept commun, tout le reste est permis. Renouveler ou pas le casting, changer de décor, de temporalité, redéfinir les personnages, etc. C’est le choix qu’a fait Nic Pizzolatto, le créateur de True Detective : imaginer une deuxième saison totalement différente de la première. Un choix qui a désappointé les fans. Et une erreur que n’a pas commise le créateur de la série Fargo.
Transformer en franchise le film de 1996 d’Ethan et Joel Coen n’était pourtant pas chose aisée. Mais Noah Hawley a su capter sa substantifique moelle. En choisissant d’installer la série au cœur des blancs hivers du Minnesota, cet Etat du nord des Etats-Unis dont sont originaires les frères Coen, Hawley a imposé à son show une unité de lieu indispensable à l’ambiance générale. Une option que n’a pas choisie le créateur de True Detective, passé sans état d’âme de la moite Louisiane au soleil californien. Au risque de perdre cette atmosphère si lourde qui faisait le sel de la première saison.
En tissant un fil rouge
L’unité de lieu n’est pas la seule passerelle entre les deux saisons de Fargo. Noah Hawley est allé plus loin. Si son sophomore se déroule en 1979, soit 27 ans avant sa première intrigue, il remet en scène deux personnages principaux du premier opus, incarnés, évidemment, par des acteurs différents. On retrouve donc Lou Solverson, l’officier de police, cette fois en service, et sa fille Molly, qui deviendra l’officier incarnée par Allison Tolman dans le premier volet.
Mieux, l’intrigue de la saison 2 était clairement annoncée dans le premier opus. Souvenez-vous lorsque l’officier Solverson y évoquait un événement grave qui s’était déroulé en 1979, alors qu’il n’était qu’un jeune flic. Eh bien nous y voici. La nouvelle saison raconte ce qui est arrivé à la mère de Molly. Un fil rouge ténu mais qui fait la différence.
En conservant le même réalisateur
C’était l’une de nos craintes avant même d’avoir visionné la deuxième saison de True Detective : Cary Fukunaga, l’auteur de la "mise en scène léchée qui collait parfaitement au sujet et à l'environnement sur le premier opus", n’avait pas été reconduit. C’est à Justin Lin, réalisateur de trois Fast and Furious, que Pizzolatto avait finalement confié la caméra. Sans surprise, la mise en scène, qui était le point fort de la série, s’est avérée moins subtile. Et, de fait, moins pertinente.
Dans Fargo, Noah Hawley est omniprésent. A l’écriture, à la réalisation, à la production, le New-Yorkais est partout et entend bien le rester. Un gage de continuité.
En proposant un casting encore plus alléchant
Matthew McConaughey avait illuminé la première version de True Detective. Et même si Colin Farrell et Vince Vaughn n’ont pas démérité, rien n’y a fait. A force de chercher à tout prix à reproduire un casting impliquant deux comédiens AAA qui soient à la hauteur des premiers, on se doutait, avant même la diffusion du pilote, qu’on n’aimerait pas autant la deuxième saison de True Detective. Le résultat nous a malheureusement donné raison.
Un écueil dans lequel n’est pas tombé Noah Hawley, qui n’a jamais cherché à dupliquer Billy Bob Thornton. Pour cette nouvelle saison, il frôle à nouveau la perfection niveau casting. On saluera particulièrement la performance de Patrick Wilson (qui incarne un Lou Anderson 2.0) et surtout celles de Kirsten Dunst, qui a accepté de prendre quelques kilos pour incarner une coiffeuse aux faux airs de dinde permanentée, et de Jesse Plemons qui, après Friday Night Lights et Breaking Bad, semble abonné aux rôles de gentil benêt. Comme l’année passée, ce casting trois étoiles devrait permettre à Fargo de rafler quelques Emmy et Golden Globes.
En insufflant l’âme des Coen
Si elle est inspirée du film, la série Fargo a trouvé une façon subtile de revendiquer sa filiation. Comme dans tous les films des frères Coen, on y retrouve ce sens du détail obsessionnel qui caractérise le travail des deux frangins. "Dans une scène, il peut y avoir deux acteurs et un cendrier. Mais vous n’oubliez pas le cendrier", résume parfaitement Kim Todd, producteur de la série Fargo.
Dans les deux premières saisons de Fargo, on retrouve ce sens du détail mais également cet humour noir omniprésent et ses accents "minnesotesques". Mieux, l’ombre de Fargo continue d’y planer. Comme dans le film de 1996, les deux saisons ne se déroulent pas dans cette ville du Dakota du Nord, mais continuent de l’évoquer. Dans cette nouvelle saison (qui se déroule à Luverne), on apprend qu’une des victimes de la fusillade a été juge à Fargo.
Cette évocation est un des nombreux clins d’œil que le réalisateur adresse à l’univers des frères Coen. Des easter eggs que le site américain Vulture s’est amusé à recenser. Dans cette nouvelle saison, on pourra par exemple reconnaître dans la bande-son un morceau entendu dans le film O’Brother sorti en 2000. Peut-être un détail pour vous, mais pour le public, ça veut dire beaucoup.