C’est l’histoire d’un coup de poker gagnant. Le jeu de rôle Pillars of Eternity, sorti le 26 mars sur PC, Mac et Linux, et financé par les internautes sur la plateforme Kickstarter, a sauvé le studio américain Obsidian d’une faillite annoncée. Dans une série de vidéos annonçant un documentaire à paraître sur la conception du jeu, l’équipe d’Obsidian raconte les coulisses de ce sauvetage qui a dépassé toutes leurs espérances.
Comme tous les bons récits, l’histoire de Pillars of Eternity commence par une mauvaise nouvelle. En mars 2012, le studio à qui l’on doit des jeux comme Fallout : New Vegas ou encore South Park : le bâton de la vérité apprend l’annulation d’un projet important pour consoles de dernière génération. "Avec ce genre de projet à gros budget, lorsque vous vous plantez, vous vous plantez salement, surtout pour un studio indépendant comme Obsidian", explique dans le documentaire Josh Sawyer, chef de projet pour Pillars of Eternity.
"Nous étions pris à la gorge"
"Nous avons essayé de nous remettre au boulot, de retravailler le jeu pour le proposer à nouveau à des éditeurs, mais nous étions pris à la gorge", renchérit le patron du studio, Feargus Urquhart. Pour ne pas mettre la clef sous la porte, Obsidian licencie alors "plusieurs douzaines" de ses employés, comme le rapportait alors le site spécialisé Gamastura. Une décision "d’autant plus difficile à prendre que cela représentait un aveu d’échec aux yeux du reste de l’industrie", de l’aveu d’Urquhart. Equipes amputées, projet annulé… L’avenir s’annonce alors très sombre pour le studio.
Mais au mois de juillet, l’espoir renaît. L’équipe observe avec envie le studio Double Fine réunir 1 million de dollars en une journée sur la plateforme de financement participatif Kickstarter pour un projet de jeu vidéo d’aventure. "Avec des membres de l’équipe, nous sommes allés voir notre patron pour lui dire qu’il fallait que nous nous lancions. Tout de suite", raconte Adam Brennecke, producteur exécutif de Pillars of Eternity.
Les membres du studio, déjà auteurs de jeux de rôle comme Neverwinter Night 2, s’accordent rapidement sur le type de projet à développer. "Un jeu à la l’ancienne, façon Donjons et Dragons, avec un personnage à créer, des compagnons qui rejoindraient l’aventure en cours de route, un monde très vaste à explorer", explique Sawyer. L’idée est de recréer l’ambiance des jeux en vue de dessus, semblables à la saga Baldur’s Gate, qui a rencontré un grand succès chez les rôlistes au tout début des années 2000. "De nombreux fans rêvaient d’un tel jeu, qui n’avait plus été créé depuis plus de dix ans. Et sur les plateformes de financement participatif, le ressort de la nostalgie fonctionne généralement bien", ajoute Brennecke.
Plus d'un million de dollars levés en 27 heures
Obsidian lance donc la campagne de financement ce qui s’appelle encore Project Eternity le 14 septembre 2012, avec l’espoir d’obtenir 1,1 million de dollars de la part des internautes. En échange, ceux-ci obtiendraient une copie du jeu et divers bonus selon leur niveau de participation.
Dans la vidéo du making-of, Feargus Urquhart raconte la suite avec un sourire émerveillé. “Après le lancement, je suis allé voir les mecs. Ils étaient tous réunis autour d’un ordinateur, à rafraîchir la page de la campagne. Et ils n’arrêtaient pas de répéter : ‘5 000 dollars de plus, 5 000 de plus…’. Nous sommes sortis boire une bière pour nous remettre de nos émotions, et lorsque tout le monde est rentré chez soi, le projet atteignait les 700 000 dollars de financement”.
L’objectif initial est finalement rempli après 27 heures, et au bout d’un mois, la somme récoltée atteint les 4 millions de dollars (3,76 millions d’euros). "C’était sans doute le jour le plus heureux de l’histoire de la boîte", se souvient Adam Brennecke. "On a eu l’impression que l’entreprise était sauvée. On s’attendait à ce qu’il y ait une attente envers ce type de projet, mais pas si grande.” Deux ans et demi plus tard, Pillars of Eternity sort sous les acclamations de la presse spécialisée.
Histoire captivante, dialogues très (très, très) longs, souvent accompagnés de dessins réalisés à la main, dans lesquels chacune des réponses possible a une incidence sur la réputation du personnage principal, musique aérienne et parfaitement soignée… L’aventure, qui peut atteindre les 100 heures de jeu si on s’attarde sur les innombrables quêtes annexes, permet effectivement de retrouver des sensations d’un Baldur’s Gate remis au goût du jour. Le jeu se retrouve dans le classement des meilleures ventes des plateformes GOG et Steam, qui le distribuent… Et début avril, Obsidian a mis en ligne douze nouvelles offres d’emploi.