ALMA, l'observatoire de l'extrême

ALMA sous les étoiles, avec l'effet des la rotation terrestre - Crédit ESO/B.Tafreshi

Dix heures de traversée au milieu du désert... C'est le temps qu'il nous aura fallu pour arriver à San Pedro de Atacama, petite ville touristique perchée à 2500 mètres d'altitude, à quelques encablures de la frontière avec la Bolivie.

San Pedro est la base arrière du plus grand chantier astronomique au monde. "ALMA" c'est son nom, est l'observatoire de tous les extrêmes. Une révolution dans la manière d'étudier l'univers. Perché à 5100 mètres d'altitude, avec ses 66 antennes hautes de 15 mètres, ALMA (acronyme d' "Atacama Large Millimeter/Submillimeter Array") bat pas mal de records...

plateau ALMA

Crédit: ESO

Voici une vidéo, réalisée en time-lapse (temps accéléré) qui vous permettra de vous faire une idée de la beauté du site...

L'objectif d'ALMA : percer les zones les plus sombres, froides et lointaines du ciel. Celles qui échappent habituellement à notre regard et qui n'émettent pas de lumière visible. Pour y arriver, il faut capter une partie non visible du spectre lumineux: les ondes radio. Dans certaines longueurs d'ondes, les parties du ciel qui paraissent sombres révèlent leur richesse.

Pour aller voir ALMA, il faut grimper toujours plus haut. La première partie de l'observatoire se situe à 2900 mètres d'altitude. On y trouve toute la partie scientifique, logistique, technique, administrative. Le télescope proprement dit est encore plus haut, à 5100 mètres...

En manque d'oxygène

Pour y aller, il faut passer un test médical. Personne n'y échappe. Tension artérielle, taux d'oxygène dans le sang. Si votre organisme montre le moindre signe d'essoufflement, impossible de monter.

Lors du test (que nous avons passé avec brio), on se demande furtivement si toutes ces précautions sont bien nécessaires...

Une fois là-haut, on comprend pourquoi...

Le souffle est court. Le moindre mouvement coûte. La tête bourdonne. Et les idées ne sont pas toujours extrêmement claires... Régulièrement, des infirmiers contrôlent le taux d'oxygène. Si celui-ci baisse trop rapidement, nous devons utiliser la bouteille individuelle d'oxygène que les responsables du site nous ont fournie. Je l'avoue: je l'ai inhalée plus d'une vingtaine de fois...

Les miraculeuses petites bouteilles d'oxygènes...

Les miraculeuses petites bouteilles d'oxygènes... - Crédit : M. Second

Votre serviteur un peu essoufflé au milieu des antennes... - Crédit : M. Second

Votre serviteur un peu essoufflé au milieu des antennes... - Crédit : M. Second

Mais ces petits désagréments ne pèsent pas lourds face à la beauté époustouflante du plateau de Chajnantor. Au milieu des Andes chiliennes, entre montagnes enneigées et volcans, se dressent des dizaines d'antennes paraboliques géantes. Au final, l'observatoire en comptera 66. La plupart sont déjà installées. Les plus grandes antennes font 12 mètres de diamètre. Chacune pèse 100 tonnes.

Pour un peu, on se croirait dans une scène du film "Contact". Il ne manque plus que Jodie Foster.

Crédit : N. Chateauneuf

Crédit : N. Chateauneuf

Mais pourquoi installer un observatoire dans un endroit aussi isolé, difficile d'accès et rude pour les organismes ?

Impliqué dans le projet depuis 4 ans, le chercheur français Denis Barkats me donne l'explication. ALMA est un radiotélescope un peu particulier. Son ennemi, c'est l'humidité de l'air. Pour observer les zones les plus froides de l'univers, il travaille en effet dans des longueurs d'ondes qui sont en partie bloquées par la vapeur d'eau contenue dans l'atmosphère. En installant ALMA si haut, on enlève 40% de l'atmosphère. Et le plateau de Chajnantor est l'un des endroits les plus secs de la planète. Si l'on retirait l'eau contenue dans toute l'atmosphère située au-dessus d'un point précis du plateau, on en récolterait moins d'un millimètre...

Enfin, la localisation géographique d'ALMA, non loin de l'équateur, permet aux astronomes d'étudier une très vaste portion de l'univers.

Etoiles naissantes et galaxies lointaines

Beaucoup d'avantages scientifiques donc... Les ingénieurs et les techniciens qui travaillent là-haut en subissent les inconvénients. Andreas Lundgren, l'un des responsables scientifiques d'ALMA me racontent que le manque d'oxygène agit parfois sans que l'on s'en rende compte.  Ce sont parfois vos interlocuteurs, qui ne comprennent rien à vos propos incohérents, qui vous demandent alors de redescendre vite ou d'ouvrir en grand les vannes de la bouteille...

Mais pour les scientifiques, ALMA le vaut bien. Pour eux, cet observatoire d'un nouveau type va révolutionner l'astronomie. ALMA va soulever le voile qui nous empêche d'étudier en détails des zones froides et sombres de l'univers. Et permettre de répondre à des questions brûlantes.

Exemple: comment les étoiles naissent-elles ? On sait que cela se passe dans d'immenses nuages de gaz et de poussières lointains qui s'effondrent sur eux-mêmes. Mais beaucoup de choses nous échappent encore.

ALMA va non seulement pouvoir étudier la formation de jeunes étoiles, mais aussi ce qui se passe ensuite, lors de la formation des systèmes planétaires. Autour de ces étoiles, des disques de matière s'agrègent pour engendrer les planètes. C'est ce qui s'est passé pour notre propre système solaire. En étudiant les premiers instants de systèmes lointains, nous pourrons remonter aux origines du nôtre.

Galaxies lointaines, chimie interstellaire, premiers instants de l'univers... ALMA a de grandes ambitions.

Son coût est à la mesure: 1 milliard d'euros... A partager entre les l'Europe (via l'ESO), les Etats-Unis et le Japon.

Les trois contributeurs au projet fabriquent chacun une partie des antennes. La France y participe. Les antennes sont ensuite acheminées en pièces détachées par bateau et assemblées sur le site logistique, dans une impressionnante chaîne d'assemblage.

La chaîne d'assemblage européenne - Crédit : M. Second

La chaîne d'assemblage européenne - Crédit : M. Second

Ensuite, il faut monter chaque antenne sur le plateau, à 5100 mètres. Pour cela, il a fallu inventer un drôle de véhicule à 28 roues.

Lentement mais sûrement, cette sorte de char emporte les 100 tonnes de l'antenne sur les routes sinueuses, jusqu'à sa destination finale.

"Otto", c'est son petit nom, a été spécialement conçu pour transporter les antennes d'ALMA.

Crédit: ESO

Tout là-haut, il a fallu construire également l'un des plus puissants calculateurs du monde. C'est lui qui doit coordonner les 66 antennes et collecter leurs données. En les combinant, celles-ci ne forment plus qu'un seul télescope. Et dans certaines configurations, les scientifiques peuvent recréer "virtuellement" un télescope de 16 kilomètres de diamètre.

Pour l'instant, le phase de tests n'est pas encore terminée. ALMA a été officiellement inauguré aujourd'hui - par le président chilien en personne - même si le chantier entre dans sa dernière ligne droite. Il faudra attendre l'année prochaine pour voir ALMA braquer toutes ses antennes sur le cosmos.

Mais déjà, avec celles qui sont déjà installées, les astronomes entrent dans le vif su sujet. ALMA vient de découvrir de très lointaines galaxies, véritables pouponnières d'étoiles, âgées de 12 milliards d'années... Bien plus anciennes que ce qu'on imaginait jusqu'à présent...

ann13016a

Crédit: ESO