Un peu plus près des étoiles - Chili, épisode II

Crédit : N.Chateauneuf

L’arrivée au VLT est une expérience en soi. Au beau milieu de cet univers minéral et désolé, où le vent et le silence imposent leur loi, cette sorte d’enclave toute entière dédiée à la science produit un décalage saisissant.

Le site s’organise un peu comme un village médiéval. En haut, le château. En bas, le village.

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Crédit: ESO

Le château, en l’occurrence, ce sont les gigantesques dômes astronomiques perchés sur leur promontoire. C’est aussi là que se trouve la salle de contrôle où ingénieurs et astrophysiciens passent leur nuit à observer les étoiles. La vue est époustouflante. Au loin, on peut voir l’océan pacifique, recouvert d’une mer de nuages. De l’autre côté, le désert d’Atacama, à perte de vue.

La mer de nuages sur le Pacifique - Crédit: Matthias Second

La mer de nuages sur le Pacifique - Crédit: Matthias Second

En bas, le village s’organise autour de la « Residencia », un bâtiment qui sert à la fois de chambre d’hôtes, de lieu de détente, de réfectoire et de siège administratif.

L’architecture est spectaculaire. Cela pourrait être une base lunaire, avec ses rampes d’accès interminables et son dôme de verre qui protège un jardin de plantes tropicales… et une piscine. De la chlorophylle et de l’eau : un luxe bienvenu et rafraichissant pour les pensionnaires réguliers.

La Residencia est en partie enterrée et son dôme peut être occulté pour éviter toute pollution lumineuse qui pourrait altérer la pureté du ciel nocturne.

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La "Residencia" - Crédit: ESO

Le site dégage une ambiance particulière et a d’ailleurs servi de décor pour certaines scènes finales du film « Quantum of Solace », dans lequel James Bond/Daniel Craig pourchassait le « méchant » joué par Mathieu Amalric. Beau décor, mauvais film.

L’énergie et l’électricité sont fournies par une turbine thermique. L’eau et tout l’approvisionnement sont acheminés par camion. Il n’y a strictement rien à des dizaines de kilomètres aux alentours.

En fin d’après-midi, nous montons enfin sur la plateforme du VLT, tout là-haut. C’est au milieu des quatre télescopes géants encore endormis que nous rencontrons, Matthias et moi, deux chercheurs français : Stéphane Guisard, ingénieur en charge des systèmes optiques du VLT, et Julien Girard, jeune astrophysicien qui travaille ici depuis 3 ans.

Matthias Second, mon confrère cameraman, au milieu des télescopes - Crédit: N.Chateauneuf

Matthias Second, mon confrère cameraman, au milieu des télescopes - Crédit: N.Chateauneuf

Le vent se lève et souffle fort. Protégés dans leurs immenses armures d’acier et de tôle, les télescopes ne bronchent pas et attendent patiemment l’arrivée de la nuit pour ouvrir leurs yeux.

La température tourne autour de 15 degrés. Mais cela se rafraichit vite.

Nous entrons dans le dôme numéro 4 et nous assistons aux premiers tests pour vérifier le bon fonctionnement du télescope. Imaginez un miroir concave de huit mètres de diamètre, surmonté d’une armature d’acier haute de dix, enchâssé dans un enchevêtrement de câbles, d’instruments, de machines, d’échappements de vapeur. Le tout monté sur un gigantesque plateau tournant et fixé à un axe de rotation herculéen. Multipliez cela par quatre (le nombre de télescopes géants), ajoutez quatre autres télescopes auxiliaires mobiles : vous obtenez le plus puissant télescope optique du monde.

Crédit : N.Chateauneuf

Crédit : N.Chateauneuf

Après des dizaines de minutes de tests, le télescope s’immobilise en position horizontale. La porte principale s’ouvre enfin. La lumière dorée de cette fin de journée pénètre dans le dôme. La chasse aux étoiles va bientôt commencer.

Chaque télescope géant peut être utilisé individuellement. Les ingénieurs peuvent aussi les combiner ensemble pour former un télescope « virtuel » encore plus puissant, permettant ainsi d’obtenir vingt-cinq fois plus de détails dans une image. Cette technique dite d’ « interférométrie optique » est une avancée technologique majeure.

Turbulences de l'atmosphère

Le télescope dans le quel nous nous trouvons est également capable de tirer dans le ciel un rayon laser. Ce laser crée une « étoile artificielle » dont l’image est analysée en permanence. Celle-ci est en effet déformée, comme toutes les autres images qui nous viennent du ciel, par les infimes turbulences de l’atmosphère. Même si le mont Paranal est l’un des endroits sur Terre ou l’atmosphère est la plus stable, les turbulences existent et diminuent la netteté des images obtenues (puisque la lumière doit traverser l’atmosphère pour venir jusqu’à nous). En analysant les déformations de l’ « étoile artificielle », les ordinateurs vont clarifier les images, supprimer le « bruit de fond », améliorer la netteté des observations. C’est ce qu’on appelle « l’optique adaptative ». Là-aussi, c’est une véritable rupture technologique qui permet de s’affranchir en grande partie de l’atmosphère.

Dans la soirée, Julien Girard va justement utiliser cette technique pour dénicher une étoile double de seulement quelques millions d’années (un bébé, au regard de notre soleil âgé de 4,5 milliards d’années).

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Crédit: ESO

Au VLT, le vrai spectacle commence au coucher du soleil. Tout y prend alors une teinte dorée, flamboyante. Chaque personne présente sur la plateforme s’arrête quelques minutes pour contempler cette lumière incandescente. Le vent souffle fort, les télescopes s’ouvrent les uns après les autres. Jupiter brille la première dans le ciel, puis apparaissent les premières étoiles. L’horizon à l’opposé du soleil couchant prend une couleur rosée tirant vers le violet. J’ai déjà vu cette teinte une fois, sur la base de Dumont d’Urville, en Antarctique. Quelqu’un m’explique que c’est normal, puisque ces teintes n’apparaissent que dans les atmosphères les plus pures.

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Au sommet du Mont Paranal - Crédit: N.Chateauneuf

 

Base de Dumont d'Urville - Antarctique. Crédit: N.Chateauneuf

Base de Dumont d'Urville - Antarctique. Crédit: N.Chateauneuf

L’orange du ciel vire maintenant au bleu. L’œil s’habitue petit à petit à l’obscurité. Lentement, la Voie Lactée - notre propre galaxie - apparaît, avec ses milliards d’étoiles.

Notre soleil n’est qu’un petit point lumineux dans cette grande spirale que l’on regarde sur la tranche. Nous habitons en effet dans l’un des bras de cette spirale, le bras d’Orion, en périphérie.

La galaxie spirale NGC1232: même forme que la Voie Lactée, mais plus grande. Crédit: ESO

En Europe, impossible de voir un tel ciel. La pollution lumineuse est trop forte, hormis dans quelques zones. La civilisation nous a progressivement coupé du spectacle céleste.

En attendant, la nuit sera courte. Dans quelques heures, il faudra reprendre la route et se diriger au nord-est, vers la frontière avec la Bolivie. C’est là qu’ALMA, le télescope de l’extrême, nous attend. A 5100 mètres d’altitude…