Le terme "météo-allergie" vous dit-il quelque chose ? Non ? C'est vrai qu'on l'emploie peu. Pourtant, dans les faits, au printemps, il prend tout son sens. Car la prévision météorologique et les risques polliniques sont loin d'être déconnectés.
Pourquoi une explosion des pollens allergisants depuis deux semaines ?
Rappelez-vous, le 14 avril dernier, la France connaissait enfin sa première véritable journée printanière (carrément estivale!): il faisait 24° dans le Nord-Pas-de-Calais, 25° en Alsace, 27° dans le Centre et même 30° en Aquitaine. Depuis ce jour, nous alternons entre des journées douces et ensoleillées et des journées plus fraîches. Quoiqu'il en soit, il n'en fallut pas plus pour que cette journée très chaude et ensoleillée permit les premières émissions des grains de pollens dans l'air. Cette dissémination a en plus été favorisé par quelques rafales de vent de sud...
Mais encore ?...
Pour être complet, en effet, il ne faut pas oublier les faits d'armes du général hiver qui ont, cette année, blanchi nos campagnes jusqu'à très tard dans la saison (neige début avril en Normandie). Ce temps hivernal a, par conséquent, limité la hausse des températures jusqu'à la mi-avril... et retardé considérablement le début de la pollinisation.
L'arrivée brutal d'un temps printanier sur toutes les régions au même moment aura permis de libérer des quantités journalières de pollens très importantes, que ce soit pour le bouleau, le platane ou le frêne.
Oh les beaux jours !
Quatre facteurs permettent de déterminer et prévoir le risque allergique: les quantités de pollens enregistrées, le stade phénologique (phase de développement saisonnier) des végétaux, l'intensité des symptômes constatés chez les patients, et enfin... les prévisions météorologiques. Nous y voilà !
Le risque pollinique augmente fortement par temps ensoleillé, sec, et vent faible. Au contraire, on peut connaître plusieurs journées avec une diminution de ce risque (comme c'est le cas depuis quelques jours dans le sud-est de la France) grâce à un temps humide - donc pluvieux - et un vent modéré.
Autant dire que le retour de conditions météo plus favorables à partir du milieu de la semaine, n'est en rien une bonne nouvelle pour les allergiques. Vive la pluie !
Proust et les pollens: faux amis mais vraie littérature.
L'effet de la météo sur l'explosion des pollens au printemps provoquait chez Marcel Proust, dès son plus jeune âge, des crises d'asthmes terribles. C'est l'une des raisons pour lesquelles Proust redoutait toujours l'arrivée du printemps.
Pourtant, on trouve dans son troisième tome d'À la recherche du temps perdu, "Sodome et Gomorrhe", un passage somptueux qui montre la façon dont notre génialissime écrivain français savait retourner à son avantage (la description littéraire) une gêne physique (l'asthme au printemps), qui pouvait même mettre en danger sa santé. Proust porte sur l'allure des personnages, ici présents, un regard de botaniste. En effet, connaissant très bien le rôle de l'insecte dans la fécondation des fleurs, il se joue du règne végétale pour le transposer, en métaphore, au manège de séduction qu'il observe entre le baron de Charlus et Jupien (un giletier). Eh oui, notre artiste était aussi expert en hermaphrodisme floral ! Extrait:
"A défaut de la contemplation du géologue, j'avais du moins celle du botaniste et regardais par les volets de l'escalier le petit arbuste de la duchesse et la plante précieuse exposés dans la cour avec cette insistance qu'on met à faire sortir les jeunes gens à marier, et je me demandais si l'insecte improbable viendrait, par un hasard providentiel, visiter le pistil offert et délaissé. La curiosité m'enhardissant peu à peu, je descendis jusqu'à la fenêtre du rez-de-chaussée, ouverte elle aussi, et dont les volets n'étaient qu'à moitié clos. J'entendais distinctement, se préparant à partir, Jupien qui ne pouvait me découvrir derrière mon store où je restai immobile jusqu'au moment où je me rejetai brusquement de côté par peur d'être vu de M. de Charlus, lequel, allant chez Mme de Villeparisis, traversait lentement la cour, bedonnant, vieilli par le plein jour, grisonnant. (...) Au bout d'un instant je fis un nouveau mouvement de recul pour ne pas être vu par Jupien;(...). Puis me rendant compte que personne ne pouvait me voir, je résolus de ne plus me déranger de peur de manquer, si le miracle devait se produire, l'arrivée presque impossible à espérer (à travers tant d'obstacles, de distance, de risques contraires, de dangers) de l'insecte envoyé de si loin en ambassadeur à la vierge qui depuis longtemps prolongeait son attente. Je savais que cette attente n'était pas plus passive que chez la fleur mâle, dont les étamines s'étaient spontanément tournées pour que l'insecte pût plus facilement la recevoir; de même la fleur-femme qui était ici, si l'insecte venait, arquerait coquettement ses «styles», et pour être mieux pénétrée par lui ferait imperceptiblement, comme une jouvencelle hypocrite mais ardente, la moitié du chemin. Les lois du monde végétal sont gouvernées elles-mêmes par des lois de plus en plus hautes. Si la visite d'un insecte, c'est-à-dire l'apport de la semence d'une autre fleur, est habituellement nécessaire pour féconder une fleur, c'est que l'autofécondation, la fécondation de la fleur par elle-même, comme les mariages répétés dans une même famille, amènerait la dégénérescence et la stérilité, tandis que le croisement opéré par les insectes donne aux générations suivantes de la même espèce une vigueur inconnue de leurs aînées. Cependant cet essor peut être excessif, l'espèce se développer démesurément; alors, comme une antitoxine défend contre la maladie, comme le corps thyroïde règle notre embonpoint, comme la défaite vient punir l'orgueil, la fatigue le plaisir, et comme le sommeil repose à son tour de la fatigue, ainsi un acte exceptionnel d'autofécondation vient à point nommé donner son tour de vis, son coup de frein, fait rentrer dans la norme la fleur qui en était exagérément sortie."