Au bout d'un moment, les mots finissent par manquer. Pugilat, naufrage, débâcle… Il devient de plus en plus difficile de qualifier le débat sur le mariage pour tous. Ecrire que la tension monte, c'est déjà fait. Dire que le fossé se creuse entre partisans et opposants à la loi, c'est aussi fait. Constater la multiplication des dérapages, fait. Au terme du premier jour de l'examen du texte en seconde lecture à l'Assemblée nationale, et alors que les anti-mariage pour tous ne désarment pas, trois réflexions me viennent.
La stratégie trouble de l'UMP
D'un côté, Jean-François Copé, le patron de l'UMP, appelle à "maintenir la pression" contre le mariage pour tous et encourage les militants à participer aux rassemblements organisés par La Manif pour tous. De l'autre, il est surprenant de constater que les députés de l'opposition semblent avoir jeté l'éponge. Mercredi, dans l'hémicycle, il ne reste plus que la dizaine d'élus déjà en pointe contre la loi en première lecture pour batailler. Hervé Mariton, Philippe Gosselin, Jean-Frédéric Poisson, Marc Le Fur, Nicolas Dhuicq... et leur chef de file, Christian Jacob. Où sont passés les autres députés UMP, censés "maintenir la pression" et "ne rien lâcher" ? Où sont les ténors de l'opposition ?
Bien sûr, ces élus de droite continuent de batailler contre le mariage pour tous, "une folie", "une fiction délétère", qui signe la "destruction de la famille". Bien sûr, ils dénoncent l'attitude "soviétique" du gouvernement qui "refuse d'entendre le peuple français". "Notre opposition à ce texte est plus forte que jamais", assure Christian Jacob. "Nous ne sommes pas abattus", ajoute Patrick Ollier. Mais, si les échanges restent très tendus au sein de l'hémicycle, on a pu voir à de nombreuses reprises Jean-Frédéric Poisson, Philippe Gosselin et Marc Le Fur rire, comme s'ils n'y croyaient plus eux-mêmes. "A la tribune, ils se payent encore quelques prophéties apocalyptiques. Mais sur leurs bancs, ils se marrent", note Rue89.
Qui sont les manifestants ? "JMJ" contre "fachos"
Au cœur des débats à l'Assemblée nationale, les actions des opposants au projet de loi. "Vous avez mis dans la rue des gens qui ne manifestent jamais", lance Laurent Wauquiez à l'attention du gouvernement. Il ajoute, mâchoire serrée et visage grave, au sujet des dérapages qui ont lieu en marge des manifestations : "La violence que vous avez générée, elle est de votre fait." Pendant l'interruption de séance, dans la soirée, Mariton, Gosselin, Poisson, Le Fur et d'autres sont allés saluer les militants de La Manif pour tous, rassemblés aux abords du Palais-Bourbon, bunkerisé pour l'occasion.
A son retour dans l'hémicycle, Hervé Mariton a vanté cette "France du sourire", "cette France des manifestants non-violents et paisibles", "cette France qui a l'amour de la famille et des enfants". Marc Le Fur a, lui, évoqué "ces jeunes qui ont fait les JMJ". Alors que l'on apprenait que des échauffourées avaient éclaté en marge de La Manif pour tous, la majorité a accusé l'opposition de "souffler sur les braises" et d'"attiser les haines". Les socialistes ont dénoncé l'"attitude factieuse" de certains militants anti-mariage pour tous, accusant la droite de défiler avec des mouvements d'extrême droite qui appellent à l'insurrection (GUD, Bloc identitaire, Jeunesses nationalistes...). Un député PS a même lancé un "fachos !" dans l'hémicycle à l'évocation des manifestants par Patrick Ollier, provoquant de nombreux remous sur les bancs de la droite.
La peur gagne les homos
Aux dérapages s'ajoutent maintenant des actes clairement homophobes. Si l'on ne peut bien sûr pas faire de lien entre les manifestants et les agresseurs, cela renforce le climat délétère qui règne autour du débat. Mercredi soir, la nouvelle de la mise à sac d'un bar gay à Lille s'est propagée très rapidement sur les réseaux sociaux. Entre stupeur et consternation, les partisans du mariage pour tous ont dénoncé une volonté délibérée de "casser du pédé". Pour beaucoup d'homos d'un certain âge, il y a une "impression de revenir vingt ans en arrière". Chez les jeunes, l'incompréhension domine et une certaine défiance s'installe. "Pour la première fois de ma vie, j'ai peur", confie un jeune homo. "Je me suis surpris à dire à mes amis qui rentraient chez eux : 'Faites attention'", me raconte un autre. "Cette escalade de violence contre les homosexuels fait très peur. J'ai la boule au ventre. Les traces que va laisser ce débat ne sont pas près de s'effacer", déplore Julie, une lesbienne de 33 ans, qui oscille entre "la colère et la tristesse".