Publiée dimanche soir sur Facebook, la photo a été partagée des milliers de fois. Elle a aussi envahi Twitter. Et partout les mêmes réactions : indignation, effroi, colère. C'est Wilfred lui-même qui a posté la photo sur sa page, on le voit le visage tuméfié. L'image est difficile à soutenir, "voici le visage de l'homophobie", écrit-il sur le réseau social. Ce Néerlandais qui vit à Paris depuis neuf ans a été passé à tabac samedi soir alors qu'il rentrait en chez lui avec son compagnon, Olivier, bras dessus bras dessous.
Ce soir-là, les deux hommes se dirigent vers la station de métro Ourcq, dans le 19e arrondissement de la capitale, quand un groupe d'individus les apostrophent. "Des homos, ah, des homosexuels !" entendent-ils. Tout s'est passé très rapidement, "on n'a pas eu le temps de regarder d'où ça venait", me confie Wilfred. Olivier prend des coups dans les yeux à six reprises, il ne voit plus rien. Wilfred est poussé à terre, sa tête est frappée "comme un ballon de foot". "Ça n'a pas duré plus de deux minutes, j'hurlais, alors ils se sont enfuis...", assure Olivier.
La police et le samu arrivent rapidement sur place, Wilfred reprend connaissance dans l'ambulance et constate qu'il a le visage ensanglanté. Il souffre de différentes lésions au front et au nez, "sept fractures au total", il a aussi perdu une dent. Des blessures qui lui valent dix jours d'incapacité totale de travail (ITT). Wilfred n'a aucun souvenir de cette agression, "quelque part cela me permet de ne pas être trop traumatisé", relativise-t-il dans un sourire. Son ami, Olivier a retiré les miroirs de leur appartement. Lui aussi a lui été blessé aux yeux et à la bouche, il s'en tire avec huit jours d'ITT.
"Il fallait que ce soit vu"
Les deux jeunes hommes vont porter plainte ce lundi pour agression à caractère homophobe. S'ils n'ont pas pu voir leurs agresseurs, ils espèrent qu'une caméra de vidéosurveillance a capté l'agression. Encore sous le choc, ils décrivent un "déchaînement de haine très impressionnant". "D'habitude, on fait en sorte d'être invisibles : on fait attention à ne pas être trop proches dans la rue, on ne se tient pas la main, on ne s'embrasse pas pour ne pas attirer les regards, raconte Wilfred. Là, on était un peu grisé, de bonne humeur, alors on s'est permis de se prendre le bras. Toute cette violence gratuite déversée en une minute en raison de notre homosexualité est triste et choquante."
Wilfred a hésité à rendre publique son agression car "c'est une agression homophobe, comme tant d'autres, un banal fait divers, et puis c'est un peu de mauvais goût de mettre ça sur Facebook". "Mais en même temps, il fallait que ce soit vu", me dit le jeune homme qui vit la diffusion de son portrait comme un "acte militant". "Ce n'est pas un problème d'insécurité dans Paris, il faut réfléchir au contexte actuel", précise le jeune homme. "Bien sûr, il faut faire très attention : d'un côté il y un acte individuel, de l'autre il y a un climat général autour du mariage pour tous. Mais depuis l'été dernier, ce climat devient haineux pour les homosexuels, on sent qu'on est plus menacés", témoigne Wilfred. "Le débat sur le mariage pour tous a libéré une violence verbale ou physique vis-à-vis des homos qui étaient plus ou moins contenue jusque là", regrette le jeune homme. "Donc cette agression banale à première vue s’inscrit dans un contexte où des responsables politiques et religieux ont tenu des propos très graves, même s'il faut rester très prudent tant que nos agresseurs n'ont pas été identifiés."
Ce lundi, l'association SOS Homophobie pointe la radicalisation des opposants au mariage pour tous et de leurs actions (plus ou moins légales et plus ou moins coordonnées). SOS Homophobie a reçu plus de 60 témoignages de victimes d'homophobie la semaine dernière et dénonce "plusieurs agressions physiques très violentes". "L’augmentation globale du nombre de témoignage en 2012 et début 2013 est sans précédent, notre association ne peut que s’alarmer de la tournure dramatique des 'débats'", ajoute SOS Homophobie. Mercredi, un rassemblement contre l'homophobie aura lieu dans le quartier du Marais à Paris, à l'appel de plusieurs associations, un "rassemblement d'urgence" pour dénoncer "la haine déversée depuis des mois contre les LGBT".