La bataille autour de la loi ouvrant le mariage et de l'adoption aux couples de même sexe électrise l'Assemblée nationale. Les débats se sont ouverts mardi 29 janvier et doivent durer deux semaines. Passe d'armes, joutes verbales, invectives... nous assistons à une véritable guerre de tranchée entre la gauche et la droite. Et déjà certains, ministres ou députés, apparaissent comme les révélations de ce débat. Pour ou contre le mariage pour tous, voici comment ils se sont fait remarquer.
Christiane Taubira, icône de la gauche
En un discours, Christiane Taubira a changé de dimension. Jusque là, le gouvernement était plutôt timide, voire en recul, pour la défense de son projet de loi. Mais depuis l'ouverture des débats à l'Assemblée, la ministre de la Justice incarne le texte, elle le porte fièrement, épaulée par Dominique Bertinotti, ministre déléguée à la Famille. Mardi, pendant plus de 30 minutes, sans regarder ses notes, la garde des Sceaux a défendu le mariage pour tous. Avec éloquence et pugnacité, Christiane Taubira a d'abord rappelé les évolutions du mariage civil depuis 1791, inscrivant son action dans l'histoire. Puis, la ministre a évoqué des arguments de l'opposition pour les combattre, suscitant la colère sur les bancs de la droit et galvanisant la gauche. "Nous sommes fiers de ce que nous faisons", dit-elle en concluant, le sourire au lèvre. La majorité lui offre une standing ovation et parle de la "Baderisation" de Christiane Taubira, en référence au discours de Robert Badinter avant l'abolition de la peine de mort en 1981.
Alors que l'opposition mène une "guérilla parlementaire" contre le projet de loi du gouvernement, la garde des Sceaux ne lâche rien et se montre même combative. Face à Laurent Wauquiez qui accuse la ministre de l'avoir traité d'hypocrite, Christiane Taubira hausse le ton. "Je maintiens que je pose des mots sur des sentiments et des comportements. Et je dis que, oui, il reste hypocrite de faire semblant, de ne pas voir ces familles homoparentales et ces milliers d'enfants qui sont exposés au regard social réprobateur." Galvanisée, la gauche l'acclame debout.
Hervé Mariton, le troll
Hervé Mariton, député UMP de la Drôme, est en première ligne sur ce débat, c'est l'opposant en chef au mariage pour tous. Dès qu'un partisan s'exprime, il interrompt, proteste, gesticule. On l'entend ainsi crier des "hors sujet", "réfléchissez !"ou encore "peut-on avoir un traducteur ?". L'élu présent à toutes les séances et lors des interruptions, il se rue sur la salle des Quatres colonnes, prêt à répondre aux journalistes et a répété inlassablement son opposition au texte. Rue89 lui a consacré un portrait au vitriol : "Il est insupportable à souhait. A ce niveau, même Lionnel Luca ne peut pas rivaliser : Mariton est devenu le plus grand troll du Palais Bourbon."
Dès qu'un élu de la majorité évoque l'homophobie supposée des opposants au mariage pour tous, Hervé Mariton rentre dans une colère noire. Le député de la Drôme a déposé plusieurs dizaine d'amendements au projet de loi. Mais sa botte secrète, ce sont les rappels au règlement. Après trois jours de débats, Hervé Mariton en a fait plus d'une cinquantaine. A chaque fois, l'élu brandit le règlement de l'Assemblée, estimant qu'un de ses collègues a bravé les règles. Le président de l'Assemblée nationale lui accorde alors deux minutes de temps de parole, interrompant et ralentissant les débats. Chaque parole de la majorité qu'il estime déplacée a ainsi une réponse bien sentie d'Hervé Mariton. Sur Twitter, les spectateurs du débat l'ont déjà surnommé "Maritroll". Et le député UMP a même son gif (image animée) spécial "rappel au règlement".
Franck Riester, la voix discordante à l'UMP
Ovni à l'UMP, Franck Riester a fait son coming-out en décembre 2011. Alors que son parti met toutes ses forces dans la bataille contre le mariage pour tous, le député de Seine-et-Marne est monté mercredi à la tribune pour saluer un "texte historique". Alors que l'ambiance est de plus en plus électrique, Franck Riester a bénéficié du silence sur les bancs de droite, comme de gauche, pour faire son plaidoyer en faveur du mariage pour tous. "Ouvrir le mariage civil aux couples de même sexe, c’est ouvrir un nouveau territoire de liberté", a-t-il plaidé d'une voix posée. Prenant soin d'épargner ses collègues de l'UMP, il leur a lancé : "J’ai conscience que c’est un sujet complexe qui touche aux convictions profondes de chacun, qui touche à l’intime, qui touche aussi pour certains au spirituel, aux croyances. Je sais qu’il est parfois difficile de s’imaginer des réalités différentes de celles que nous connaissons habituellement. Mais enfin, nous parlons d’amour."
Prenant exemple sur David Cameron, Premier ministre britannique et conservateur qui compte faire voter un texte similaire, Franck Riester a continué de s'adresser à ses "collègues" de l'UMP "attachés à la famille" : "Il ne s'agit pas avec ce texte de créer de nouvelles formes de familles, ni de les ériger en modèle, mais de donner à ces familles les mêmes droits et les mêmes protections que les autres". Très applaudi à gauche, il compte aussi sur le soutien de son ami Benoist Apparu, seul autre député UMP a avoir annoncé qu'il voterait le texte.
Erwann Binet, le nouveau chouchou du PS
C'est le baptême du feu pour Erwann Binet, député PS de l'Isère et rapporteur du projet de loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de même sexe. Elu pour la première fois en juin dernier, ce "petit nouveau" de l'Assemblée nationale s'est fait un nom. En tant que rapporteur du texte, il se doit d'être présent à l'ensemble des débats et de répondre aux amendements de l'opposition. Catholique, père de famille, l'élu âgé de 40 ans défend le texte du gouvernement bec et ongles.
"Il y eut le temps du châtiment, il y eut le temps de la tolérance, il est venu maintenant le temps de l'égalité", déclare-t-il mardi à la tribune, déclenchant une ovation à gauche. Evoquant les familles homoparentales, Erwann Binet explique qu'"il faut leur apporter la protection, la stabilité et la reconnaissance sociale comme aux autres familles et cela s'appelle le mariage". L'élu socialiste a rejeté vendredi d'un revers de la main la proposition de l'UMP de créer une alliance civile pour les couples homosexuels. Le député insiste pour l'ouverture du mariage "avec toute sa charge symbolique". "Bosseur", "investi"... ses collègues socialistes n'ont de cesse de dresser ses louanges pour la "qualité des auditions qu'il a menées". L'opposition, elle, déplore son "sectarisme".
Jean-Frédéric Poisson, l'hériter de Christine Boutin
Député des Yvelines, Jean-Frédéric Poisson a pris le siège de Christine Boutin, passionaria anti-Pacs. Il est aussi vice-président du Parti chrétien démocrate (PCD), associé à l'UMP et fondé par Christine Boutin. Il est proche de collectif de la "Manif pour tous" et encourage toutes mobilisations contre le mariage pour tous : pétitions, rassemblements, demande de référendum, saisine du Conseil économique et social...
C'est lui qui détient le record d'amendements au projet de loi : il en a déposé pas moins de 231, comme le note Le Monde.fr. Plus discipliné que son collègue Hervé Mariton, moins théâtral que Christine Boutin, le député PCD-UMP se bat contre le mariage pour tous mais aussi contre l'alliance civile proposée par certains députés UMP. Il fera tout pour empêcher l'adoption d'un texte qui entraînerait selon lui "un bouleversement civilisationnel" et qui "remet en cause des fondements naturels".
Jean-Jacques Urvoas, le tacticien
Président socialiste de la Commission des lois, Jean-Jacques Urvoas ne se laisse pas impressionner par l'obstruction parlementaire de l'opposition. Le député du Finistère a déjà réussi un "coup" en étudiant près de 4 000 amendements en moins d'une heure en Commission des loi, grâce à la technique de l'amendement "balai" (en les regroupant).
Jean-Jacques Urvoas a préparé les débats et s'est documenté, et, c'est Laurent Wauquiez qui en a fait les frais mercredi. L'ancien ministre UMP a défendu à la tribune une motion pour l'organisation d'un référendum sur le mariage pour tous. L'argument du président de la Commission des lois pour répondre à Laurent Wauquiez : un ouvrage de droit écrit par... Laurent Wauquiez ! Dans Les 101 mots de la démocratie française, publié en 2002, le député UMP écrivait que les "problèmes de société, tels que la peine de mort" ne pouvaient faire l'objet d'un référendum. Voilà Laurent Wauquiez mouché sous les yeux de la gauche qui jubile (voir la séquence à partir de 8'00).
Henri Guaino, héraut de la "loi de la nature"
L'ancienne plume de Nicolas Sarkozy en fait une affaire personnelle. Mardi, Henri Guaino a présenté une motion de rejet du texte. Né de père inconnu, le député UMP a fait allusion aux "souffrances intimes (...) de tous ceux auxquels, en dépit de l'amour infini qu'ils ont reçu de ceux qui les ont élevés, il a manqué toujours et pour toute la vie une mère et un père". Elevé par deux femmes, sa mère et sa grand-mère, l'élu de l'opposition a lancé : "Il faut l'homme et la femme, le père et la mère, pour engendrer et guider l'enfant sur le chemin de la vie. Oui c'est une loi de la nature, qu'aucune loi humaine ne peut abolir."
"Ouvrir le mariage aux couples de même sexe, c'est donner le droit d'avoir des enfants à des couples auxquels la loi de la nature ne le permet pas", a martelé Henri Guaino, d'une voix chevrotante, empruntant le ton d'André Malraux et suscitant les railleries de la majorité.