La gauche avait tout pour se réjouir : samedi 2 février, les députés ont voté à une écrasante majorité (249 voix contre 97) le premier article du projet de loi sur le mariage pour tous. C'est l'article le plus important, celui qui ouvre le mariage aux personnes de même sexe. Ce devait être le point d'orgue d'un week-end marathon, près de 30 heures de débats pendant lesquels les députés socialistes sont restés largement majoritaires dans l'hémicycle, se relayant pour tenir bon face à l'obstruction et aux attaques de la droite. Mais patatras, dimanche, le Premier ministre, en voyage officiel au Cambodge, a cassé la "belle image".
C'est sur l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes que le gouvernement s'est mis en difficultés tout seul. Alors que cette question a déjà fait l'objet de flottements et de reculades au sein de la majorité, le député Europe-Ecologie-Les Verts(EELV), Sergio Coronado réclame dimanche midi des précisions à la ministre déléguée à la Famille sur "le calendrier, la méthode, le périmètre" du projet de loi Famille annoncé pour le 27 mars en Conseil des ministres. Celui-ci devait inclure l'ouverture de la PMA aux couples de femmes. Et c'est là que le cafouillage survient.
Pourquoi cette cacophonie ?
Dominique Bertinotti affirme à l'Assemblée que "la PMA sera abordée dans le cadre de cette loi", qui "sera examinée au Parlement avant fin 2013". Une heure plus tard, Jean-Marc Ayrault, depuis Phnom Penh au Cambodge, recadre vertement sa ministre. "[Dominique Bertinotti] ne peut pas dire ça dans la mesure où elle ne connaît pas la date de réponse du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), donc si c'est fait avant, oui, si ce n'est pas le cas, il faudra attendre." "La question de la PMA peut être traitée toute seule", ajoute-t-on à Matignon, sous-entendu hors de la loi famille. Stupeur sur les bancs de la majorité alors que la droite se frotte les mains et crie au "couac".
Alain Vidalies, ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, va alors patauger pour rattraper la bourde gouvernementale : "Le problème (...) c'est de savoir si l'ensemble de la loi famille sera examiné à la fin de l'année avec la PMA, ou si l'on différencie les deux", explique-t-il aux députés. Et puis, un peu plus tard, après avoir eu le Premier ministre au téléphone, Vidalies précise "qu'il y aura une seule loi portant sur l'ensemble des questions portant sur la famille, que cette loi comprendra la proposition du gouvernement sur la PMA, que le débat n'interviendra qu'après la connaissance de l'avis du Conseil national d'éthique et donc avant la fin de l'année". Lundi matin, Jean-Marc Ayrault a finalement confirmé cette ligne : une seule loi famille "avant la fin de l'année (...) une fois que le Conseil consultatif national d'éthique se sera prononcé."
Pour les députés socialistes, la pilule est dure à avaler : en plein débat sur l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples homosexuels, "la torpille" vient de leur camp. "Mais quel con !", lance dimanche après-midi un jeune élu PS à la buvette des journalistes de l'Assemblée. "Il a perdu une bonne occasion de se taire. Dire une telle ânerie, depuis l'étranger en plus... Ce n'est pas lui qui se tape le marathon du week-end dans l'hémicycle", confie un autre député socialiste furieux. "Qu'il reste à Phnom Penh, si c'est pour saper notre boulot !", s'exclame l'un des ses collègues.
Est-ce un enterrement de la PMA ?
Pour de nombreux députés de la majorité, cet énième cafouillage sur la PMA met en lumière la "frilosité du gouvernement". Noël Mamère, élu EELV, estime que les ministres "n'oseront pas aller jusqu'au bout, ils vont reculer". "Lassitude et écœurement", ces deux mots reviennent en boucle dans la bouche des députés PS fervents partisans de l'ouverture de la PMA à toutes les femmes.
Si cet énième rebondissement sur la PMA agace tant, c'est que la position des socialistes est dure à suivre. En 2010, lors du vote de la loi sur la bioéthique, le PS adopte une position claire : "L’accès à l’AMP (assistance médicale à la procréation) doit être ouvert aux femmes sans condition de situation de couple ou d’infertilité". Et, pendant la campagne présidentielle, François Hollande se prononce pour l'ouverture de la PMA aux couples de femmes "aux conditions d’âge" et de "projet parental". Absente du projet de loi sur le mariage pour tous, la PMA resurgit via un amendement du groupe socialiste, décidé à aller plus loin que le gouvernement. Cet amendement sera finalement retiré après que le Premier ministre se soit engagé à la présentation d'un projet de loi famille le 27 mars, incluant la PMA. Désormais, le calendrier est flou et surtout, la question de la PMA est suspendue à l'avis du Comité consultatif national d'éthique.
Que va faire le Comité d'éthique ?
Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a annoncé récemment s'être "auto-saisi" d'une "réflexion globale" sur les "indications sociétales de l'assistance médicale à la procréation". Dimanche soir, le président du CCNE, Jean-Claude Ameisen, a indique que "quelques mois sont sans doute nécessaires pour l’élaboration d’un avis du CCNE sur cette question. Et la réflexion durera au minimum six mois si des états généraux sont organisés" . Et la ministre de la Santé a souligné que le comité d'éthique avait besoin de "plusieurs mois", notamment pour peut-être "engager des débats partout en France", et qu'il rendrait ses conclusions "sans doute au mois d'octobre".
Et si l'avis du Comité d'éthique est négatif ?
Il est très peu probable que le CCNE soit favorable à l'ouverture de la PMA aux couples de femmes. En 2005, le comité d'éthique s'est prononcé sans équivoque contre cette disposition. "L’AMP a toujours été destinée à résoudre un problème de stérilité d’origine médicale et non à venir en aide à une préférence sexuelle ou à un choix de vie sexuelle. L’ouverture de l’AMP à l’homoparentalité ou aux personnes seules ouvrirait de fait ce recours à toute personne qui en exprimerait le désir et constituerait peut-être alors un excès de l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif. La médecine serait simplement convoquée pour satisfaire un droit individuel à l’enfant", écrivait alors le comité dans son rapport (voir page 18). Que fera le gouvernement en cas d'avis négatif du CCNE ? Même s'il ne s'agit que d'un avis consultatif, l'exécutif risque de se retrouver piéger en passant outre une décision qu'il dit attendre pour mener sa réflexion...
Mais c'est sans compter la détermination des députés de la majorité pro-PMA. "On s'est fait avoir une première fois, on ne se laissera pas faire une seconde", prévenait l'un deux dimanche. Au sein du groupe PS, 40 à 50 députés sont défavorables à l'ouverture de la PMA, mais une large majorité la défend, appuyée par des écologistes. Bruno Le Roux, patron des députés socialistes fait partie des fervents partisans de l'ouverture de la PMA à toutes les femmes. Et il en fait aussi une question d'honneur pour les parlementaires PS. "Si la loi sur la famille devait arriver demain sans qu'il y ait ce texte sur la PMA à l'intérieur, à ce moment, le groupe prendrait ses responsabilités pour faire en sorte que la chose puisse être discutée ici", a lancé Bruno Le Roux dans l'hémicycle. Défiant le gouvernement, Erwann Binet, rapporteur de la loi sur le mariage pour tous a carrément affirmé dans un tweet : "soumettre a priori la décision du Parlement à un avis inconnu du comité d'éthique est un déni de démocratie". Les mots sont à la hauteur de l'exaspération collective. "C'est les parlementaires qui font la loi et donc c'est eux qui ont le dernier mot", a prévenu lundi le Parti socialiste. On peut donc parier que si la PMA n'est pas défendue par le gouvernement, elle resurgira via un amendement ou une proposition de loi des parlementaires de la majorité.