"Après, ça a des quantités de conséquences qui sont innombrables. Après, ils vont vouloir faire des couples à trois ou à quatre. Après, un jour peut-être, l’interdiction de l’inceste tombera" : une déclaration choc du cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, rapportée vendredi par le site du quotidien Le Progrès. Il n’est pas question ici d’aborder le lien fait par le dignitaire religieux entre l’ouverture du mariage aux couples du même sexe et l'inceste. Mais je vais revenir sur cet argument souvent utilisé par les opposants au mariage des homos : en ouvrant le mariage, on va légaliser la polygamie. Que se cache-t-il derrière le dérapage du cardinal ?
La coparentalité n'est pas la polygamie
Pour avoir des enfants, l'une des solutions des couples homos en France est la coparentalité. Par exemple, un couple de lesbiennes et un couple de gays ont des enfants ensemble. Les deux couples ont une garde partagée des enfants, ils exercent conjointement leurs responsabilités. Et leurs enfants ont, de fait, quatre parents. La cellule familiale n'est plus constituée uniquement du père et de la mère mais elle comprend des parents "naturels" et des parents "sociaux", qui peuvent être trois, quatre, etc. Si la loi reconnaît ces parents, est-ce pour autant une autorisation de la polygamie ? Clairement, non.
Que dit la loi ? La polygamie est interdite, selon l'article 147 du code civil : "On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier". Les contrevenants s'exposent à des peines pouvant aller jusqu'à 1 an de prison et 45 000 euros d'amende. Les assos de défense des droits des couples homos ne réclament évidemment pas la légalisation d'une union à plus de deux personnes. Elles réclament le droit d'avoir des enfants et de pouvoir les élever dans un cadre légal, le statut du beau parent n'existant pas.
Pourquoi alors le cardinal Barbarin lie-t-il mariage des homos et polygamie ? Nicolas Gougain, porte-parole de l'Inter-LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) dénonce une "barbarinade", accusant le religieux d'être "coutumier de ce genre de dérapages". Sur le fond, Nicolas Gougain m'explique que la démonstration du cardinal ne tient pas. "Les familles où on retrouve plusieurs parents, c’est extrêmement fréquent. Les familles recomposées avec un beau père et une belle mère, ce sont des parents aussi. Tout dépend de la définition que l’on donne au mot 'parent'", me dit-il. "Cela complexifie la cellule familiale traditionnelle mais ça n'a rien à voir avec la polygamie". Selon lui, le projet du gouvernement devrait "permettre de régulariser des situations qui existent de fait aujourd’hui avec des familles où il y a plus de deux parents en raison de recompositions familiales".
La crainte du "polyamour"
Face à l'ampleur prise par la polémique, le diocèse de Lyon a publié samedi sur son site une explication de texte des propos du cardinal Barbarin. "Le cardinal s’est aussi fait l’écho de revendications nouvelles 'qui commencent à se faire jour'. Dès lors que 'quelques repères majeurs' seraient dépassés, quelles réponses seront alors faites à ces nouvelles demandes ?", s'interroge le diocèse. De quelle revendications "nouvelles" s'agit-il ? Le diocèse précise, "il convient de préciser que le 'polyamour' ou les 'unions à plusieurs' deviennent un sujet d’actualité comme en attestent cet article de l’Express, du Monde ou du 'petit journal'".
Sur quels éléments se basent les médias cités par le diocèse de Lyon ? La reconnaissance d'une union à trois par un notaire brésilien. Grâce à un vide juridique, une notaire du Brésil a fait signer un contrat patrimonial entre un homme et deux femmes et les a ainsi mariés. L'Express cite aussi une tribune signée Lionnel Labosse, enseignant et écrivain, qui s'interroge : "N'y a-t-il pas un abîme entre condamner la polygamie sexiste et cantonner au nombre de deux les unions légales ?". Et l'intellectuel appelle à la mise en place d'une "contrat universel qui rendrait possible des unions dans lesquelles chacun des contractants serait à égalité avec chacun des autres".
On peut quand même faire remarquer qu'il n'y a pas là grand chose de nouveau. Avant de parler de "trouple" (mélange en couple et trio) et de "polyamour", on parlait de ménage à trois... Autre remarque : à ma connaissance, en dehors de quelques rares revendications, aucune organisation, aucun couple, trouple ou que sais-je, LGBT ou non, ne réclame un mariage à plusieurs.