Bilan de la saison littéraire 2013 : sur dix grands prix littéraires, quatre ont été décernés à des femmes (le Femina à Leonora Miano pour La saison de l'ombre, le Médicis à Marie Darrieussecq pour Il faut beaucoup aimer les hommes, le prix de Flore à Monica Sabolo pour Tout cela n'a rien à voir avec moi, et l'Interallié à Nelly Alard pour Moment d'un couple).
Le collectif féministe La Barbe avait pourtant dénoncé le 4 novembre la quasi-absence de prix Goncourt décerné à des femmes en cent dix ans d'existence. L'association avait été relayée par Les Nouvelles news qui pointaient l'"invisibilité des écrivaines", avec à peine "100 lauréats sur 110 pour le Goncourt et 75 hommes sur 87 pour le Renaudot".
La misogynie des jurys littéraires et l'invisibilité des romancières, idée juste ou cliché persistant ? Réponse en quatre graphiques portant sur les dix principaux prix littéraires de la saison (du grand prix du Roman de l'Académie française, qui ouvrait le bal, à l'Interallié, qui l'a clôturé, en passant par le Goncourt, le Renaudot, le Femina, le prix Décembre, le prix de Flore, le Médicis, le Goncourt et le Renaudot des lycéens).
1 Les femmes, un tiers des jurés des grands prix littéraires
C'est évidemment le BA-BA : un cénacle d'hommes récompensera plus spontanément un talent masculin. Et comme l'entrée dans les jurys se passe par cooptation, les hommes élisent plutôt d'autres hommes, sans que le phénomène se soit franchement amélioré au XXIe siècle .
Passage en revue des jurys des huit principaux prix littéraires à jury fixe (sans le Goncourt et le Renaudot des Lycéens, à jury tournant). Le Goncourt ? Dix membres, dont trois femmes (Edmonde Charles-Roux, depuis 1983, Françoise Chandernagor, élue en 1995, et Paule Constant, qui y est entrée en 2013).
Le Renaudot ? Dix membres, dont une seule femme, Dominique Bona (entrée en 1999). Le Prix de Flore, créé en 1994 par Frédéric Beigbeder ? Deux femmes sur douze jurés. Certes le prix Décembre fait mieux que les autres (cinq femmes sur douze) et la parité est presque atteinte avec le prix Médicis (sur neuf jurés, quatre femmes).
Exception qui confirme la règle, le Femina, fidèle à ses origines anti-Goncourt , est 100% féminin (neuf jurées). Mais il a suscité dans la foulée le Prix Interallié resté...100% masculin (neuf jurés). Hormis le Femina, donc, tous ces jurys sont majoritairement masculins, y compris celui de l'Académie française (six femmes sur trente-sept membres).
2 Leurs romans, moins d'un tiers de la sélection
A la rentrée littéraire 2013, il y a eu 36% de romans signés par des femmes lors de la rentrée (en prenant pour base la recension des romans publiée en juin par Livres Hebdo).
Combien d'oeuvres signées de ces romancières retenus dans la dernière sélection du Goncourt ? Une sur quatre. Du Renaudot ? Zéro sur six. Prix Décembre ? Zéro sur "trois". Médicis : trois sur huit. Femina ? Deux sur cinq. Grand prix du roman de l'Académie française? Une sur trois..
Ce sont -surprise- les prix Interallié (trois sur quatre) et Flore (quatre romans sur cinq) qui se sont montrés les plus féministes.
Et la proportion est encore pire si l'on prend en compte la dernière sélection du très vendeur Goncourt des lycéens (sur cinq, un seul roman d'auteure) ou du Renaudot des lycéens (une sur sept).
3 A l'arrivée, presque la moitié des prix
Et pourtant le résultat de la saison littéraire 2013 est quasi-paritaire : sur dix prix littéraires, quatre ont été décernés à des romancières (le Femina à Leonora Miano pour La saison de l'ombre, le Médicis à Marie Darrieussecq pour Il faut beaucoup aimer les hommes, le prix de Flore à Monica Sabolo pour Tout cela n'a rien à voir avec moi, et l'Interallié à Nelly Alard pour Moment d'un couple).
Le coup de théâtre est venu du prix Interallié à jury exclusivement mâle. "Il y avait plus de vingt ans que le prix Interallié n’était pas allé à une femme", a souligné la ministre de la Culture Aurélie Filippetti.
Sa réaction était guettée puisque selon Actualitté, le roman "à clés" de Nelly Alard -l' histoire d'une femme trompée- répondait à celui ... publié en 2005 par la même Aurélie Filippetti, Un homme dans ma poche. Mais quelles que soient les motivations du jury Interallié, il aura presque équilibré la balance :
Près de la moitié des romans primés ont donc été écrits par des femmes, même si les romanciers ont gardé les prix les plus vendeurs. Déjà best-seller avant l'attribution du prix, le Goncourt a fait bondir l'(excellent) Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre à la première place des meilleures ventes romans, selon Livres Hebdo (semaine du 4 au 10 novembre). L'ouvrage est désormais tiré à plus de 370.000 exemplaires.
Quant au Renaudot, il a permis aux mille cent pages du Naissance de Yann Moix de surgir dans ce même classement à la 18e place, deux mois après sa sortie. Sauvé par le prix puisque le premier tirage (18.000 exemplaires selon Livres Hebdo) de ce "pavé mortellement ennuyeux" (L'Express) ne s'était pas écoulé d'août à début novembre (selon Le Monde).
Enfin, Sorj Chalandon a remporté le Goncourt des lycéens -autre prix auquel se fient les acheteurs- pour Le quatrième mur (roman qui décrit le rêve utopique d'un metteur en scène voulant monter Antigone à Beyrouth, en pleine guerre du Liban).
Ajout : Sur la littérature écrite par des femmes, une suggestion de lecture : La marche du cavalier . L'auteure, Geneviève Brisac, s'y interrogeait sur le peu d'écho suscité par l'oeuvre de grandes romancières.