"Nous n'étions pas des héros" : les derniers Compagnons de la Libération retracent leur parcours, et les raisons de leur engagement

Le débarquement allié sur les plages de Normandie (AFP PHOTO)

Soixante-dix ans après le débarquement des troupes alliée en Normandie, le 6 juin 1944, tout est prêt pour le cérémonies commémoratives du débarquement, retransmises sur écrans géants à Caen ou Rouen. Réception des grands ce ce monde, tapis rouge, exercices de voltiges de la patrouille de France, et - qui sait ? - météo quasi-clémente.

Mais si l'on rembobinait le fil de l'histoire ? En juin 1940, la France était défaite. Et l'histoire non écrite quand une poignée d'hommes a décidé de rejoindre la Résistance ou le général De Gaulle à Londres.

 "Tandis que le pays pliait l'échine, les futurs Compagnons [de la Libération] ont pris un bateau pour l'Angleterre ou distribué leurs premiers tracts appelant à l'insoumission. Ces garçons n'avaient même pas entendu l'appel du 18 juin, seulement le cri de leur conscience", écrit Benoît Hopquin dans un livre intitulé Nous n'étions pas des héros. Ce grand reporter au Monde a fait le portrait de quatorze d'entre eux : chacun lui a confié son parcours, et les raisons de son engagement.

"Ils étaient quelques milliers à peine, considérés comme des traîtres ou des terroristes "

Encensés aujourd'hui, ils étaient à l'époque  "quelques milliers à peine, considérés comme des traîtres ou des terroristes. Ces mauvais Français, ces citoyens dévoyés ont été déchus de leur nationalité, moqués, conspués, pourchassés, déportés, condamnés à mort par contumace ou fusillés", rappelle le journaliste.

Parmi ces combattants de la première heure, "ils ne furent que 1038 à avoir été acceptés dans l'ordre de la Libération, créé en novembre 1940 et forclos en février 1946", détaille Benoït Hopquin. Sur ce millier d'hommes, moins de vingt sont encore vivants aujourd'hui.

Des héros qui se sont parfois éclipsés "sans laisser d'adresse" 

Ce qui a déclenché ce livre ? "En 2007, explique l'essayiste, j'appris que la chancellerie de l'ordre de la Libération recherchait quatre Compagnons dont on avait perdu la trace, au fil des décennies. Que ces héros aient disparu ainsi, se soient éclipsés sans laisser d'adresse était à mes yeux à la fois fascinant et effrayant. Jusqu'où pouvait aller notre négligence? Après les hommes, ne risquait-on pas d'oublier leurs idéaux ?"

Ces braves ont été gommés des mémoires d'autant plus aisément qu'ils sont restés modestes. Et pressés d'entamer une nouvelle existence, après une guerre qui leur avait volé leur jeunesse. Ainsi le secrétaire de Jean Moulin Daniel Cordier "n'a-t-il plus donné signe de vie à l'ordre de la Libération" pendant deux décennies, jusqu'au milieu des années 60.

Car quoi de commun entre ces Compagnons? Entre le médecin des Forces françaises libres François Jacob, prix Nobel de médecine 1965, et un Daniel Cordier devenu galeriste, peintre et marchand d'art avant de livrer, très tard, ses mémoires de résistant (Alias Caracalla, prix Renaudot essai 2009) ?

Rien. Et tout :  le souvenir du commun combat, rejoint dès le début, comme "une évidence".  Pourtant ces "bonshommes", insiste Benoît Hopquin, restent "tourmentés et insatisfaits".  Daniel Cordier le résistant se reproche de n'avoir pas combattu l'arme à la main. A l'inverse, "Henri Beaugé, qui fut de toutes les batailles, se lamente de n'avoir pas ressenti le frisson de la résistance".

Les Compagnons de la Liberation Daniel Cordier, Louis Cortot et Fred Moore (R) aux Invalides le 24 avril 2013 aux Invalides lors de la cérémonie militaire en hommage à Francois Jacob (AFP PHOTO / POOL / LIONEL BONAVENTURE)

Les Compagnons de la Liberation Daniel Cordier, Louis Cortot et Fred Moore le 24 avril 2013 aux Invalides lors de la cérémonie militaire en hommage à François Jacob (AFP PHOTO / POOL / LIONEL BONAVENTURE)

 "On voit se passer de drôles de choses"

Certains gardent intacte la flamme de l'indignation, comme Louis Cortot. Cet ancien agent de liaison des Francs-Tireurs Partisans, devenus Forces Françaises de l'Intérieur (FFI, résistance communiste) suit toujours l'actualité. Il "ne comprend pas les raisons de la crise dans un monde si prospère".

"Le mal du siècle, c'est l'argent" déclare-t-il à Benoît Hopquin venu l'interviewer. "Et puis, alors qu'on se sépare, perce une inquiétude. Sur le pas de la porte, il parle de l'air du temps, lui trouve une odeur douteuse. "On voit se passer de drôles de choses", dit-il. Le dénigrement de la Résistance s'accompagne de la réhabilitation des collabos. Demain , sera-t-il accusé de ce qu'il a fait pour la liberté, traité de terroriste ou de meurtrier comme il le fut sous l'Occupation ? Sensation d'un vieil homme qui en a tant vu. Et si tout cela était en train de revenir ?"

Un nécessaire "livre d'admiration"

A ces quatorze portraits vibrants, à la trajectoire extraordinaire, l'auteur ajoute un "ultime avertissement nécessaire". "Ce livre de témoignages, écrit-il, "n'est pas un travail d'historien, pas plus qu'un exercice de journaliste. Il se veut, résolument, un livre d'admiration".  Mais quel sens aurait un travail de journaliste sans exemples citoyens et messages d'espoir ? Et, comme Benoît Hopquin le note par ailleurs, sans rappel de repères "dans une époque tissée de confusions" ?

-> Nous n'étions pas des héros. Les Compagnons de la Libération racontent leur épopée, Benoît Hopquin (Calmann-Lévy, 18,50 euros)