Pendant la seconde guerre mondiale, auriez-vous été bourreau, comme quelques-uns, attentiste, comme la majorité, ou résistant, comme le furent Stéphane Hessel, Françoise Seligmann et Henri Caillavet, tous trois morts ce 27 février ?
C'est la question centrale du livre de Pierre Bayard paru en janvier 2013 aux éditions de Minuit, Aurais-je été résistant ou bourreau ?
Le livre est bâti sur une hypothèse amusante. L'auteur s'imagine né en 1922, une vingtaine d'années plus tôt que dans la réalité. En 1939, en bon littéraire, il aurait quitté Paris - où les classes préparatoires étaient fermées - pour suivre une hypokhâgne et une khâgne à Bordeaux.
A ce moment- là, comme tout au long de la guerre, deux possibilités s'offrent à lui : rejoindre la Résistance, ou attendre. Retour sur un passé encore sensible, en quatre questions posées dans l'ouvrage.
1 En juin 1940, à Bordeaux
Fallait-il prendre un avion pour l'Angleterre comme le fit l'écrivain Romain Gary, futur Compagnon de la Libération et double lauréat du prix Goncourt, au prix de mille difficultés ? Embarquer à Bayonne pour rejoindre Londres comme Daniel Cordier, qui deviendra le secrétaire de Jean Moulin ? Ou attendre d'y voir plus clair ?
Eléments de réflexion : en 1940, personne ou presque n'a entendu l'appel du 18 juin lancé par le général de Gaulle, pour poursuivre le combat. La déroute est totale, et l'avancée des troupes allemandes semble inexorable. Aux yeux du plus grand nombre, cet engagement tient alors de la folie.
2 En juin 1940, toujours à Bordeaux
Alors que des milliers de fugitifs se pressaient aux portes, fallait-il, comme le consul portugais Aristides de Sousa Mendes, rester claquemuré trois jours dans sa chambre avant de signer à tour de bras, à la grande fureur de sa hiérarchie, plus de 30.000 passeports, dont un tiers ont permis à des juifs de fuir les persécutions nazies? Ou se plier aux ordres ?
Eléments de réflexion : démis de ses fonctions à son retour au Portugal, ce père de 14 enfants meurt en 1954 dans la misère. Douze ans après sa mort, le mémorial de Yad Vashem, en Israël, l'honore du titre de Juste parmi les nations.
3 En 1942, à Munich (Allemagne)
Fallait-il, comme les résistants allemands du mouvement La Rose blanche Hans et Sophie Scholl, diffuser à Munich, de l'été 1942 à février 1943, des milliers de tracts "appelant à s'opposer à la dictature (hitlérienne) en pratiquant la résistance passive" ? Ou s'abstenir ?
Eléments de réflexion : arrêtés le 18 février alors qu'ils déposaient des tracts à l'université, Hans et Sophie Scholl sont jugés le 21 février et guillotinés le 22 février 1943, il y a soixante-dix ans. En Allemagne, un prix littéraire portant leur nom a été créé en 1980. Il vise à récompenser "le courage intellectuel et moral".
4 En 1943, à Paris
Devait-on, comme les scientifiques Henri Cabannes et Marcel Boiteux (futur président d'EDF), interrompre ses études à Normale Sup à l'été 1943 pour quitter la France par l'Espagne et rejoindre les troupes alliées en Afrique du Nord ? Ou poursuivre ses études ?
Eléments de réflexion : commencée à l'été 1942, la bataille de Stalingrad, qui a opposé les troupes soviétiques et allemandes et fait près d'un million de morts, se clôt le 2 février 1943 - il y a soixante-dix ans - sur la défaite allemande. C'est le début de la fin pour le IIIe Reich.
En cent cinquante pages, Pierre Bayard dépeint ainsi une dizaine de dilemmes et autant de figures héroïques, qui vont de Romain Gary au pasteur du Chambon-sur-Lignon, André Trocmé. Ce qui compte ici, c'est la façon de contextualiser la question, sur fond de solide culture littéraire et historique.
-> Aurais-je été résistant ou bourreau ? Pierre Bayard (les éditions de Minuit, 15 euros). Professeur de littérature française et psychanalyste, l'auteur a également publié Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ?, qui figure dans la bibliothèque de tous les critiques littéraires.