Faut-il en faire le baromètre du faible intérêt suscité par les élections européennes ? Un seul livre sur ces élections s'est glissé (à la 38e place, semaine du 5 au 11 mai) dans la liste des 50 meilleures ventes essais du dernier Livres Hebdo (mais ne rêvons point : pas dans le top 20 de la liste des best-sellers, trustée, un mois avant l'été, par les derniers romans de Marc Lévy, Guillaume Musso ou Katherine Pancol).
Signé Pierre Larrouturou, transfuge du PS, fondateur du parti Nouvelle Donne et candidat en Ile-de-France, l'ouvrage, tiré à 15.000 exemplaires, s'intitule La grande trahison : Les élites ont abdiqué à nous de reprendre la main.
Le titre est un clin d'oeil à l'écrivain Julien Benda (auteur de La trahison des clercs) et à l'historien Christopher Lasch (qui a publié La révolte des élites et la trahison de la démocratie).
La "trahison" de la gauche au pouvoir
Qui sont les "traîtres" visés par Pierre Larrouturou ? La gauche au pouvoir depuis 2012 : en clair, le gouvernement, mais surtout le président de la République, que l'économiste a longtemps côtoyé au parti socialiste.
Que lui reproche-t-il ? De faire des "cadeaux inefficaces" au Medef, avec son pacte "compétitivité-emploi". Pierre Larrouturou rappelle un précédent fait d'armes de la famille Gattaz.
Trente ans avant son fils Pierre (actuel président du Medef), Yvon Gattaz avait dirigé de 1981 à 1986 le syndicat patronal (qui s'appelait alors le CNPF). A l'époque, il "affirmait que, en supprimant l'autorisation administrative de licenciements, 471.000 emplois seraient créés. Pour justifier ce chiffre très précis, il avait fait réaliser une "étude" par une officine amie".
Le "patron des patrons" d'alors avait "obtenu ce qu'il voulait. Et pourtant, vingt ans plus tard, le député UMP Etienne Pinte a affirmé que cette réforme n'avait créé aucun emploi".
François Hollande fait-il "une politique des années 80" ?
Et aujourd'hui, "qui peut croire qu'on va créer un million d'emplois en baissant les "charges" de 10 milliards?" s'interroge Pierre Larrouturou. Pour cet économiste, François Hollande est un "anti-Roosevelt" qui a trahi ses promesses de campagne "en renonçant au progrès social". Pire encore, le chef de l'Etat n'aurait pas changé de logiciel depuis les années 80, à en croire l'anecdote qui ouvre le livre :
"Lundi 8 avril 2013
En sortant de l'Elysée, Michel Rocard résume d'une phrase la situation : "C'est effrayant !" Nous venons de passer deux heures avec le principal conseiller économique du président de la République. Au terme de ces deux heures de travail en commun, Emmanuel Macron lâche : "J'ai l'impression qu'on fait une politique des années 1980. Une politique qui aurait pu marcher il y a trente ans." Et quand nous lui demandons pourquoi continuer cette politique (...), Macron botte en touche et répond tristement : "On ne change pas un homme".
On soupçonne que le succès (relatif) de l'ouvrage doit beaucoup à cette perfidie. Car ses idées-phare, Pierre Larrouturou les martèle depuis vingt ans, dans une dizaine de livres parfois co-signés avec l'ancien premier ministre socialiste Michel Rocard ou avec l'auteur d'Indignez-vous ! , Stéphane Hessel (décédé en février 2013).
Graphiques à l'appui, l'apôtre de la semaine de quatre jours répète que la croissance ne reviendra pas, que la planète s'épuise, que les Trente Glorieuses sont derrière nous (constat partagé par Thomas Piketty), et que la politique dite "de l'offre" est une "erreur tragique". Et il plaide pour des solutions alternatives : transition énergétique, lutte contre les inégalités et partage du travail, dont il est un ardent défenseur. Sera-t-il entendu ? Les derniers sondages placent son parti en dessous de la barre des 2%, malgré des clips de campagne qui misent, comme l'explique Le Point, résolument sur l'humour.
-> La grande trahison. les élites ont abdiqué. A nous de reprendre la main, de Pierre Larrouturou (Flammarion, 15 euros)