Qui est Thomas Piketty ? L'économiste "frenchie" dont le dernier livre est devenu le 22 avril, un mois après sa sortie aux Etats-Unis, numéro 1 des ventes sur Amazon.com. Voilà qui n'est pas banal, s'agissant d'un traité d'histoire économique retraçant sur trois siècles et une vingtaine de pays la concentration des patrimoines.
Pourquoi pareil succès pour un ouvrage d'un millier de pages (sept cents en langue anglaise) au titre néo-marxiste : Le Capital au XXIe siècle (en anglais : "Capital in the Twenty-First Century")? Avançons trois arguments :
1 L'inquiétude face à la montée des inégalités
Première raison : les inégalités inquiètent les Américains. Dans un entretien au Monde, Thomas Piketty remarque d'ailleurs qu'elles se sont beaucoup plus accrues aux Etats-Unis qu'en Europe, depuis trois ou quatre décennies.
Dans un rapport publié en janvier, l'association caritative Oxfam avait sorti un chiffre frappant: les 85 personnes les plus riches du monde détiennent une fortune égale à celle de la moitié (la plus pauvre) de la population mondiale.
Un autre indicateur pointait l'acuité du problème outre-Atlantique. "Aux Etats-Unis, écrivait l'ONG, les 1% les plus riches ont confisqué 95% de la croissance post-crise financière depuis 2009, tandis que les 90% les moins riches se sont appauvris."
Or, remarque la journaliste franco-américaine Hélène Crié-Wiesner sur son blog American Mirror, Thomas Piketty est devenu le spécialiste incontesté de l'étude des inégalités. Il "était déjà connu aux Etats-Unis pour s’être plongé, avec son compatriote Emmanuel Saez, dans les statistiques de l’IRS (l'administration américaine chargée de collecter les impôts) en observant ce qui se passait non pas pour les 10% les plus riches mais pour les 1%. La révélation des 1% d’Américains percevant 20% des revenus globaux, c’est lui. Du coup, Occupy Wall Street lui doit tout."
Occupy Wall Street, vous vous souvenez ? Avant de s'effilocher, le mouvement avait dénoncé à l'automne 2011 les abus du capitalisme financier aux cris de "nous sommes les 99%".
2 La "tradition égalitaire" méconnue des Etats-Unis
Second élément d'explication : les Etats-Unis, explique Thomas Piketty dans Le Monde, ont "une tradition égalitaire très forte", qui s'est construite "en opposition à une Europe elle-même confrontée à des inégalités de classe ou patrimoniales". Et le chercheur de souligner que les Américains ont bâti il y a un siècle "un système de fiscalité progressif sur le revenu".
Rappelons aussi qu'en 1941, le président américain Franklin Delanoe Roosevelt avait taxé jusqu'à 90% (au-delà d'un certain seuil) les plus hauts revenus. Et que le pays a vécu "avec un taux marginal d'imposition sur les très hauts revenus proches de 80%" les cinquante années suivantes, selon Le Nouvel Observateur. Soit jusqu'au début des années 1990.
3La forte crédibilité de l'auteur outre-Atlantique
Troisième et dernière raison : même si ses parents, portés par la flamme soixante-huitarde, sont un temps allés élever des chèvres dans l'Aude (rapporte Le JDD), Thomas Piketty n'a rien d'un fantaisiste.
Son CV est impressionnant : à 22 ans à peine, frais émoulu de Normale Sup, il enseigne au prestigieux Massachusetts Institute of Technology. En 2002, il décroche le prix du meilleur jeune économiste de France (décerné par Le Cercle des économistes). A 42 ans, il enseigne aujourd'hui à l'Ecole d'économie de Paris, qu'il a contribué à créer, et à l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales).
On l'a vu plus haut, il s'est fait un nom aux Etats-Unis dans les sciences sociales. A ce parcours s'est ajouté, le 16 avril, le cri d'admiration et de "jalousie" de l'Américain Paul Krugman dans les colonnes du New York Times. Le prix Nobel d'économie 2008 a conclu son éloge par un définitif "What a book !" ("Quel livre !"). Pour parachever son parcours de star (intellectuelle), Thomas Piketty a été reçu à la Maison-Blanche par des conseillers économiques de Barack Obama. Il y a peut-être défendu sa proposition d'impôt mondial sur la fortune pour lutter contre les inégalités.
N'en jetez plus ! L'économiste français aurait déjà écoulé, selon La Tribune, 41 000 exemplaires de son Capital aux Etats-Unis, et 25 000 seraient en réimpression.
Son éditeur français, Le Seuil, se frotte les mains et rappelle les 45 000 exemplaires vendus dans l'Hexagone. Dopé par sa consécration américaine, l'ouvrage, affirme la maison d'édition, serait en train de remonter dans les listes des meilleures ventes essais (comme lors de sa sortie fin août 2013). Effectivement, il figurait en première place des ventes d'Amazon.fr le 23 avril (à 15 heures). Il faut croire que "le marxisme de sous-préfecture", épinglé un peu vite fin août 2013 par Nicolas Baverez dans Le Point, a de beaux jours devant lui.