"L'Europe et la France méritent mieux que des bras cassés au Parlement européen"

"Ce n’est pas en défaisant l’Europe que l’on fera la France de demain. C’est en la renforçant qu’elle nous protégera davantage." Belle déclaration de principe de François Hollande, lors de ses vœux présidentiels aux Français pour 2014. Elle élude néanmoins quelques-uns des changements survenus en Europe en ce début d'année.

Sans vouloir "sauter sur sa chaise comme un cabri en proclamant 'l'Europe, l'Europe, l'Europe'" - pour reprendre la raillerie du général de Gaulle, l'Union européenne semble singulièrement absente des débats médiatiques en ce début d’année 2014.

Celle-ci est pourtant marquée, le 25 mai, par l'élection des députés au Parlement européen. Et par une riche actualité (travailleurs roumains et bulgares autorisés à travailler en France, entrée de la Lettonie dans la zone euro...). Tous sujets sur lesquels nous avons interrogé la députée européenne Sylvie Goulard (MoDem), auteure d’Europe : amour ou chambre à part, qui plaide pour une plus grande intégration politique de la zone euro.

Roumains et Bulgares sont libres d’accéder en France au marché du travail, sans restriction. Est-ce une bonne nouvelle et, si oui, pourquoi ?

Les restrictions imposées par nationalité tombent, mais le droit français du travail s’applique. Rappelons que la liberté de circulation profite aux Français, libres d’aller travailler dans tous les pays de l'UE, même si, dans ce cas précis, c’est souvent moins attractif d’un point de vue salarial. Pourquoi ces mesures ont-elles été prises ? L’idée, c'est que la libre circulation et la possibilité de travailler partout en Europe accroît la prospérité.

Mais n'exagérons pas l'ampleur des flux attendus ! Pour la simple raison qu’il y a en Europe des marchés du travail bien plus demandeurs que le nôtre, comme en Autriche ou en Allemagne. A l'inverse, quand je vais en Pologne, je me réjouis de voir qu’il y a quantité d’enseignes françaises de grande distribution ou de bricolage.

Si nous avons des marchés là-bas, cette création de richesse est bonne pour la France. Et, quand nos entreprises conquièrent de nouveaux marchés, cela crée des emplois dans les services qui restent dans l'Hexagone, comme le marketing, par exemple.

La Lettonie entre dans l’euro, "à reculons" selon La Tribune. Est-ce positif et, si oui, pourquoi ?

En France, on ne rappelle pas qu'il y a eu des engagements pris avant la crise. L’euro, ce n’est pas une affaire à cinq ou dix ans, mais à cinquante ans. L’objectif, c’était d’avoir un marché unique pour nos entreprises en limitant le risque de change.

La vocation de l'euro, c'est d'être la monnaie de l'Union européenne, même si des pays comme le Royaume-Uni ou le Danemark ont choisi de ne pas y rentrer. Ceci posé, la crise a montré qu'il faut veiller sérieusement à qui entre dans l'euro. Cela revient à placer la Commission, la Banque centrale européenne et l'ensemble des ministres des Finances devant leurs responsabilités. Entrer dans l'euro, ça suppose des disciplines communes et des réformes.
Quand Bruxelles dit à la France que sa courbe de dépenses devient insoutenable, il faut y voir une alarme utile, relayant d'ailleurs celle lancée par notre Cour des comptes, plutôt que s'indigner. Les élites de ce pays sont atteintes d'un certain provincialisme. Le projet européen n'a pas la place qu'il mérite dans les médias, on caricature le rôle de la Commission. On lance des invectives, des idées faciles et on réfléchit finalement assez peu à l'intérêt de la France.

La Grèce vient de prendre la présidence tournante de l'Union européenne. Un tiers des Grecs n'a pas de couverture sociale, selon Le Monde. Est-ce là l'Europe rêvée ?

La Grèce est entrée dans la zone euro en s’affranchissant de toutes les contraintes. Les autorités grecques nationales ont bousillé l’avenir des Grecs. Une potion amère était nécessaire. Savez-vous qu’il y a quelques années, la plus grande concession Porsche au monde était à Athènes ? Qu'on y trouvait plus de voitures de luxe que de Grecs susceptibles de les acheter, à en croire leur déclaration de revenus ? Une couverture sociale ne peut pas être offerte si elle n'est pas durablement financée. La France ferait bien d'y réfléchir, elle n'est pas sur une trajectoire soutenable en termes de finances et met ainsi en péril le modèle social qu'elle prétend sauvegarder.

Vous pouvez m'expliquer à quoi sert le Parlement européen ?

Le Parlement est élu au suffrage universel direct. Il a des prérogatives importantes en termes de législation, notamment sur les questions d'environnement, sur la sécurité alimentaire, bref, sur tout ce qui concerne les produits et marchandises puisque l'Union européenne est un marché unique. Tous les textes sont proposés par Bruxelles et validés par le Parlement européen et par le Conseil des ministres, deux instances démocratiques.

Mais il a, c’est vrai, des pouvoirs limités en ce qui concerne le budget. La manière dont on valide le budget n’apporte pas de garanties suffisantes en matière démocratique, les Etats n’ont pas voulu céder ce pouvoir.

Le Parlement a aussi son mot à dire sur les accords internationaux. Au nom de la protection de la vie privée, il avait ainsi refusé le 4 février 2010 un accord provisoire avec les Etats-Unis de transfert de données bancaires. Alors qu'on parle aujourd'hui des révélations d'Edward Snowden et du scandale des écoutes de la NSA, le Parlement avait eu du nez sur cette affaire. Finalement, un autre accord (Swift), moins scandaleux, a été ratifié. Il y a des batailles qui mériteraient d'être mieux connues pour être menées avec plus d'autorité.

Le soir du 4 février 2010, j’avais dit à mes enfants : "Vous verrez, le vote du Parlement européen, ça fera la une du 20 heures." Il n’y avait pas eu un mot au journal télévisé, on avait parlé de la neige.

Vous trouvez que les débats européens n'ont pas assez de résonance médiatique ?

Si l'on veut poursuivre le projet politique européen et consolider l'euro, ce qui est dans notre intérêt dans le monde tel qu'il évolue, il faut créer une puissance publique européenne, démocratique, autour de la zone euro.

Je ne sais pas si vous avez vu, au rythme actuel de la croissance, en 2050 il n’y aura plus aucun pays européen dans le G8. Le monde sera géré sans nous. Ce que nous mangerons, la perpétuation de nos systèmes sociaux, ça se joue au niveau mondial. Les différences avec les Belges et les Allemands ne sont pas insurmontables par rapport aux différences avec les pays émergents. Notre rapport à l’environnement et à la protection sociale est, par exemple, très différent de celui de la Chine.

Tous ces enjeux, le débat politique national les passe sous silence. Le déni est  effroyable. Si nous nous en donnons les moyens, l'Europe unie est un élément de réponse. C'est pourquoi nous devrions prendre l'Europe beaucoup plus au sérieux, débattre plus ouvertement de ses faiblesses et de ses forces, mettre toutes nos chances de notre côté en envoyant au Parlement, à la Commission, les meilleurs. Si la France n'envoie pas les bons députés européens au Parlement, c'est grave pour notre influence collective.

C’est un plaidoyer pro domo, puisque vous ne savez toujours pas si votre parti, le MoDem, vous reconduit comme candidate ?

Non, je ne prétends pas que mon cas intéresse grand-monde. Et il y a 74 eurodéputés français (sur 750 environ). Le problème transcende les appartenances partisanes et les personnes. C'est comme contribuable et mère de famille que je suis choquée de l'attitude des états-majors des partis qui y envoient des bras cassés, des anciens ministres à "recaser", peu assidus, ne parlant aucune langue étrangère. L'Europe et la France méritent mieux.

-> Europe : amour ou chambre à part, de Sylvie Goulard (Flammarion, 12 euros)