Les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot défendent avec vigueur le vote obligatoire, couplé avec le vote blanc. Pourquoi ? Parce que les catégories les plus modestes participent de moins en moins aux élections. Une proposition qui n'a rien d'absurde : le droit de vote est déjà une obligation dans plusieurs pays, dont la Belgique.
Alors qu'à 36,5%, l'abstention a battu des records dimanche au premier tour des municipales, en particulier dans les villes pauvres (voir la carte des 50 villes où la participation a été la plus faible), entretien avec la co-auteure de La violence des riches Monique Pinçon-Charlot :
Vous défendez toujours le vote obligatoire?
Bien sûr que nous défendons le vote obligatoire ! A condition qu'il y ait, couplée, la reconnaissance du vote blanc [vote blanc qui sera reconnu après les municipales], pour évaluer l'insatisfaction par rapport à l'offre politique. En France, la classe politique n'est plus du tout représentative : 52% des Français sont employés ou ouvriers, contre 3% des députés ! [voir les chiffres de l'Observatoire des inégalités, qui s'appuient sur une étude du CEVIPOF]
Quelque 82% des sénateurs et députés sont des cadres ou exercent des professions intellectuelles alors que cette catégorie ne représente que 13% de la population active. Conséquence : les catégories défavorisées ne se reconnaissent pas dans la classe politique, et leurs intérêts ne sont pas pris en compte puisqu'elles ne votent plus.
Nous sommes gouvernés par une oligarchie. Le mot est parfaitement adapté puisque nous vivons dans un régime censitaire dont sont exclues les classes populaires. Elles ne votent pas et quand elles votent, elles votent mal.
On l'a vu au référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen : classes populaires de droite et de gauche ont voté non [qui l'a emporté à 55%]. Elles se sont prononcés contre l'Europe néolibérale, mais leur vote n'a pas été respecté puisque le Traité de Lisbonne est entré en vigueur sans être soumis à référendum [il a été ratifié par le Parlement le 8 février 2008].
Y a-t-il eu des propositions de loi dans ce sens ?
Oui, comme nous le racontons dans la réédition du Président des riches (La Découverte Poche). En 2003, Laurent Fabius a déposé une proposition de loi [enregistrée le 16 janvier] pour rendre le vote obligatoire et reconnaître simultanément le vote blanc. A l'époque, nous nous étions rencontré, mais la proposition n'a jamais été mise à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Pour nous, ce vote obligatoire couplé à la reconnaissance du vote blanc, c'est une réformette à potentialité révolutionnaire ! Si l'on comptabilisait les votes blancs, on verrait bien que le président de la République n'est pas élu par une majorité de Français. Cela permettrait d'introduire un troisième parti, qui aurait une visibilité. Le parti de ceux qui n'ont pas trouvé d'offre politique à leur convenance.
Vous estimez que le vote obligatoire permettrait de renouveler l'offre politique et son personnel. Mais la loi sur le non-cumul des mandats ne constitue-t-elle pas un progrès en ce sens ?
Oui il y a eu une réformette sur le cumul des mandats parce que la pression est très forte. Mais elle ne s'appliquera qu'en 2017 pour les députés et les sénateurs. L'Assemblée nationale n'a pas fonctionné pendant cinq semaines pour permettre aux députés de faire campagne pour les municipales. C'est un conflit d'intérêt incroyable !
-> Dernier livre paru : La violence des riches (Michel Pinçon et Monique Charlot-Pinçon, Zones, 17 euros)